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longues hésitations de ses parents que cette perspective effrayait démesurément. Sa mère n’eut pas le courage de lui faire part d’une si cruelle détermination ; le père dut s’en charger à son corps défendant : en se promenant dans le jardin avec l’enfant, il débuta par un long préambule sur tous les torts que l’écolier rétif s’était donnés, sur les deux précepteurs découragés et en fuite, sur la nécessité de s’instruire et de s’assurer un rang dans la société. Le jeune d’Haussonville interrompit là l’homélie : « Savez-vous ce qu’il faut faire ? Il vous faut me mettre dans la pension la plus sévère que vous pourrez trouver. » La maman, aux aguets, tremblait à l’idée de l’impression qu’allait produire sur son fils cet exil de la maison paternelle, et peut-être fut-elle un peu mortifiée de la désinvolture avec laquelle il prenait la chose. Il ne fut, d’ailleurs, pas incarcéré au lycée ; les parens de ce temps-là n’étaient point sans pitié : on le plaça dans l’institution de la rue d’Enfer tenue par M. Taillefer, ancien sous-diacre génovéfain, établissement qui ne comptait pas plus de sept ou huit pensionnaires. Ceux-ci suivaient les cours du lycée Louis-le-Grand ; on mit d’Haussonville en cinquième. Il fallut en rabattre : après quelques semaines d’essai, il passa en septième ! Mais, pour cet écolier issu d’une vieille lignée française, la contrainte était insupportable : spontanément imbu de la tradition des collégiens d’autrefois, ses ancêtres, il s’échappait du lycée pour jouer à la paume, revenait fourbu, dormait en classe ; les pensums pleuvaient sur lui : des centaines de vers à copier, opération pour laquelle il avait fait marché avec un écrivain public, qui, à force de travailler pour le lycéen, savait son Énéide par cœur. Un jour, cependant, que sa bourse était à sec, l’élève dut faire son pensum lui-même : « Ah ! monsieur, dit le professeur auquel il le présenta, vous ne m’attraperez pas ainsi : ce n’est pas là votre écriture que je connais très bien… Au lieu de cinq cents vers, vous m’en copierez mille. » Force fut donc de recourir au manœuvre à gages qui, pour cette fois, consentit à faire crédit au meilleur de ses cliens, et quand le professeur reçut la copie, il la contempla d’un air de triomphe dont toute la classe, au courant du stratagème, s’amusa beaucoup. Ces « études à reculons » et cette incorrigible insouciance n’empêchèrent point que, à peine échappé à la férule, l’écolier paresseux, instinctivement fidèle à un revirement qu’escomptaient, jadis, les pédagogues.