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ne fût pris subitement du goût des belles-lettres et ne s’appliquât de lui-même à leur étude avec une constance passionnée.

Le nom d’une autre pension de cette même époque demeurera célèbre, non point qu’elle fut supérieure à ses concurrentes, mais parce qu’elle hébergea durant trois ans Victor Hugo. Jusqu’alors, il n’avait eu pour maîtres qu’« un jardin, un vieux prêtre, et sa mère : » en 1815, il entra à la pension Cordier, dans la rue Sainte-Marguerite, resserrée entre la prison de l’Abbaye et le passage du Dragon. La maison était un corps de logis à un seul étage entre deux cours dont la seconde servait aux récréations. On entrevoyait, dans cette seconde cour, de la verdure et des fruits en plein hiver, ce qui surprenait d’abord ; mais on distinguait bientôt que c’étaient des arbres peints sur la muraille du fond. M. Cordier était un vieillard, passionné de Jean-Jacques dont il avait adopté jusqu’au costume arménien, la pelisse et le bonnet de fourrures ; il tenait toujours à la main une énorme tabatière de métal dont il frappait sur la tête les élèves indisciplinés. Les pensionnaires de l’établissement suivaient en externes les cours de Louis-le-Grand : ce compromis avec le monopole de l’Université était généralement adopté par les pères de famille préoccupés de soustraire leurs fils à la geôle du lycée ; c’était un vestige attardé de l’ancienne éducation d’avant la Révolution ; ce système réclamait, de la part des parens, une moindre abdication et laissait aux enfans plus de liberté. Nous ne saurons jamais si on « travaillait » à la pension Cordier ; mais nous sommes certains qu’on s’y distrayait beaucoup. Victor Hugo et son frère Eugène étaient « en chambre : » ils avaient divisé toute la troupe de leurs camarades en deux camps qu’ils commandaient respectivement, couverts de décorations en papier doré, chargés d’épaulettes, de galons et de sabres de pacotille servant d’accessoires aux représentations de comédies et de drames militaires qui semblent avoir occupé le meilleur du temps des élèves. La grande classe était transformée en salle de spectacle, les tables rapprochées formaient le plancher de la scène, les quinquets la rampe et les bancs, le parterre[1]. On n’était point surmené à la pension Cordier, et c’était, à n’en pas douter, un endroit gai. C’est ainsi qu’on arrivait à décrocher au Concours général

  1. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. I, 258 et suiv.