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par la culture physique l’éducation de l’esprit. Au temps de ma première visite aux Etats-Unis, Smith College, véritable université féminine, comptait exactement 1 133 élèves. Elles obéissaient, sans contrainte, à un régime prudent et sage qui comportait un heureux mélange de sujétion nécessaire et de salubre liberté. On eût dit la réalisation de ce rêve poétique, dont le célèbre Tennyson, en sa féerie sentimentale de la Princesse, a esquissé les engageantes perspectives. Les jeunes filles de Smith College, comme celles de Wellesley, de Vassar, de Bryn Mawr, vivent par petits groupes, formés au gré des amitiés et des préférences, dans des cottages, au bord des étangs et des pelouses, sous les arbres d’un parc plein d’ombre, égayé par des eaux vives où l’on peut se délasser des fatigues de l’étude par les plaisirs de la promenade, du canotage ou de la natation. Point de murs de clôture. Elles se réunissent, aux heures des cours, des conférences, des exercices de gymnastique, dans leurs amphithéâtres, dans leurs laboratoires et dans l’admirable palestre où elles se divertissent de la lecture des livres par le jeu mouvementé du basket ball. Ainsi préparées par un apprentissage où l’âme et le corps trouvant harmonieusement les moyens de s’assouplir et de se fortifier, elles étaient prêtes aux difficiles tâches qui exigent autant de santé que de courage et non moins d’intelligence que de bonté. Les voici donc, ouvrières d’une grande réparation matérielle et morale, les voici, transplantées par un exode volontaire, loin du pays natal et des villégiatures confortables, au milieu des ruines et des deuils, pour obéir à la voix intérieure qui leur commandait d’aller à la rescousse, elles aussi, dans la lutte où les jeunes hommes des Etats-Unis d’Amérique sont nos frères d’armes.

On nous a dit qu’elles sont à Grécourt. Mais leur poste de labeur est malaisé à découvrir. Il fait noir. Pas une étoile au ciel. La solitude ténébreuse est de plus en plus sombre. Le vent souffle, la pluie tombe sur les champs ravagés, pareils à une vaste ondulation de steppes. L’auto fonce dans la nuit, en sautant à travers des ornières dont l’eau éclabousse l’espace vide. Çà et là, en fouillant du regard l’obscurité opaque, on aperçoit des fantômes de villages, des formes vaguement ébauchées au-dessus de l’horizon bas et mouillé. La carte, consultée à la lueur livide des phares électriques, nous