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Est-ce le génie des ruines qui s’est levé sous la forme d’un gracieux fantôme ? A mesure que cette apparition se rapproche, nos yeux distinguent, à la lueur furtive des phares de l’auto, une robe bleue, un corsage de la même couleur, un béret tout pareil à celui de nos chasseurs alpins, des cheveux blonds, un visage rose... C’est une des jeunes étudiantes que Smith College a envoyées dans notre pays pour y refaire des foyers détruits, pour y guérir des cœurs navrés, pour s’enrôler dans la grande croisade humaine contre la douleur et contre la mort. Elle nous souhaite, en français, la bienvenue sous les branches noires de son parc effeuillé.

— Ce château, nous dit-elle, appartient à Mme de Haussy de Robécourt, qui veut bien nous le prêter avec toutes ses dépendances. Les Boches l’ont mis dans un tel état qu’il est inhabitable. Vous voyez, c’est un squelette...

— Où habitez-vous, mademoiselle ? Le village semble être en aussi déplorable état que le château...

— Oh ! oui. Les Bavarois ont incendié l’église. Nous habitons, mes compagnes et moi, ici tout près.

L’habitation des jeunes missionnaires déléguées dans ces solitudes par Mrs. Hawes, au nom du comité de secours de Smith College, ressemble à un de ces campemens où leurs ancêtres, les disciples des bons pèlerins de la May Flower, les futurs fondateurs des grandes cités du Nouveau Monde, vinrent s’établir, en assemblant à coups de marteau, comme faisait Robinson dans son île, des planches de bois blanc, solidement clouées. Ces baraques, construites par nos soldats, rappellent ces cabins dont le « style colonial, » au Massachusetts, au Connecticut ou dans la Nouvelle-Angleterre, amuse les yeux du voyageur par un exotisme plein de couleur locale.

Il pleut dehors, il pleut à verse. On entend les gouttes d’eau, tombant sans cesse, avec un bruit de tambour roulant sur le papier goudronné qui sert de couverture à cette case où les plus anciennes simplicités de la vie primitive se mêlent, par un curieux contraste, aux plus modernes raffinemens de la civilisation. Où sommes-nous ? Des caisses de conserves, des paquets de corde, des outils de menuisier et de charpentier emplissent les moindres recoins de cet abri provisoire, comme au temps où notre Champlain, débarqué de la goélette Bonne Renommée , parmi les Hurons et les Iroquois, construisait des