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jeûne. On dit merveille d’une « soupe franco-américaine » (franco-american soup) qui arrive de là-bas toute préparée : on n’a plus qu’à la faire chauffer. Pour aider les habitans du pays à préparer leurs repas, les dames de la « section civile du Comité américain pour les blessés français » ont centralisé dans leurs magasins de Blérancourt une abondante collection de marmites et de réchauds, de casseroles et de louches, toute une batterie de cuisine. Donnent-elles cela pour rien ? Non. Même système que chez les demoiselles de Grécourt. Hormis les cas bien déterminés, nettement indiqués pour l’assistance immédiate et le secours d’urgence, ces objets sont vendus au détail, à moitié prix, calculé sur le tarif des achats en gros. C’est un commerce dont les transactions s’inspirent des principes de la charité la mieux ordonnée.

Comme il ne suffit pas de se nourrir, et qu’il faut aussi se vêtir chaudement, pendant l’hiver, les magasins de Blérancourt contiennent tout un assortiment de vêtures neuves, également débitées, excepté dans les cas d’extrême indigence, au prorata des modiques ressources de la population locale. Il faut se meubler. Voici des tables, des étagères, des armoires, fabriquées sur place, par une équipe de petits menuisiers recrutés dans les écoles de Blérancourt, avec le bois des caisses d’emballage qui viennent d’Amérique. Rien ne se perd dans ces ateliers où tout le monde travaille. Aussitôt déballée, la caisse est métamorphosée en meuble. Deviendra-t-elle buffet, table, étagère ou bureau ? C’est l’affaire des petits menuisiers dont l’apprentissage a été organisé, au château de Blérancourt, sous une surveillance admirablement diligente et inventive.

— Ces enfans, me dit Mlle Adrienne Hickel, leur gracieuse directrice, nous donnent toutes les satisfactions possibles. Leur travail est bien émouvant. Voyez cette étagère. Elle est l’œuvre du petit Robert Vaillant. Cet enfant a cruellement souffert, par suite des privations et des souffrances qu’il a endurées pendant l’occupation allemande. Son père, son frère, âgé de quatorze ans, ont été emmenés comme otages... Il a dessiné lui-même le projet de son travail, au compas et au tire-ligne. Voyez comme il a soigneusement biseauté les rebords de son étagère, raccordé ses moulures avec un art instinctif et déjà guidé par une précoce expérience. Nos jeunes artisans français deviendraient facilement des artistes...