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plongeaient dans un ravissement, auquel se mêlait à peine quelque irritation pour la logique hasardeuse du philosophe : je prends le terme au sens où l’employait le XVIIIe siècle, car les Noces Corinthiennes seraient de Voltaire, si elles n’étaient de M. France. Le philosophe veut montrer que le monde a possédé, une fois, la vraie science de la vie et que ce fut dans l’antiquité païenne. Le paganisme a, été la seule religion conforme à la nature, une religion de lumière et de beauté qui divinisait la vie et la joie de vivre : le christianisme est venu tout gâter. Religion de laideur et de tristesse, il a divinisé la souffrance et la mort ; et depuis, le monde porte le deuil des divinités perdues... A l’appui de cette thèse, le poète nous conte la déplorable aventure d’une jeune fille que sa mère fait entrer au couvent malgré elle. La jeune Daphné est fiancée au bel Hippias, elle chrétienne à lui païen. Pour son malheur, sa mère, Kallista, est une de ces dévotes dont la foi se concilie avec un égoïsme forcené et qui d’instinct confondent leur intérêt propre avec l’intérêt sacré. Malade, elle fait vœu, pour prix de sa guérison, de consacrer sa fille à Dieu. Et, victime de ce pieux marché, la triste Daphné se lamente parce qu’elle ne goûtera pas les joies de l’hyménée.

Or ces lamentations, nous les avons déjà entendues. « Hélas, infortunée ! un époux bien-aimé ne déliera pas ta ceinture, et tu ne verras pas des enfans grandir dans ta claire demeure ! » ainsi gémit une jeune fille que nous connaissons bien, pour l’avoir rencontrée, où cela ? dans le théâtre antique, qu’elle fait retentir de ses plaintes : car ce n’est pas au Dieu des chrétiens qu’Iphigénie fut immolée en Aulide. Daphné est une petite sœur d’Iphigénie. Mais celle -ci, plus malheureuse, avait teint de son sang les autels païens : ce qui est tout de même plus radical que d’être mise au couvent. Le théâtre antique tout entier, à le prendre par ce biais, est une longue protestation contre la méchanceté de ces Dieux, qu’on nous représente dans les Noces Corinthiennes comme si indulgens, si bons, si humains !

Le premier acte venait d’être joué et il avait été fort applaudi. Le rideau s’était relevé sur le second tableau qui s’encadre dans la maison d’Hermas, père de Daphné. C’est le temps de la vendange. Hermas, tout de rouge vêtu, est tout à la joie ; il rit, il chante, il imite le geste des vendangeurs qui pressent le raisin dans la cuve : l’odeur du vin nouveau lui est un peu montée à la tête. C’est l’excellent Silvain qui joue le rôle : il fait mille folies... Soudain, nous le voyons s’interrompre pour faire une annonce : : « On nous avertit qu’il y a une alerte... Les caves du théâtre sont à la disposition