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chrétienne, héritières l’une de l’autre et toutes deux nées du même besoin de défendre l’humanité contre le même farouche ennemi.

Et il va sans dire que M. Anatole France ne pouvait prévoir que, le soir où la Comédie s’annexerait sa pièce, quelqu’un troublerait la fête... La représentation terminée, Silvain s’avança devant le trou du souffleur et renouvela au public l’offre d’une hospitalité sûre et confortable dans les caves du théâtre. Beaucoup préférèrent faire les cent pas sous le péristyle. Enfin la berloque se fit entendre. Et nous repartîmes par les rues pleines de ténèbres et de voix. Nous cheminions dans une ombre épaisse et mouvante, d’où soudain émergeaient des grappes humaines. Toute la nuit, des groupes sillonnèrent Paris en quête des « points de chute » et curieux de constater les dégâts.

Voilà donc la question de l’ouverture ou de la fermeture des théâtres bruyamment posée . La solution à laquelle on s’est arrêté est excellente. Les théâtres continueront de jouer en soirée aussi bien qu’en matinée ; en cas d’alerte, la représentation sera interrompue et le public acheminé vers des abris préalablement aménagés. Par là tous les intérêts seront conciliés. Acteurs et spectateurs ont prouvé que les bombes n’étaient pas pour les effrayer : il reste qu’un projectile tombant sur une salle de spectacle y ferait d’effroyables ravages. Mais à aucun prix il ne faut fermer les théâtres. Il ne faut pas les fermer parce que Paris sans ses théâtres n’est plus tout à fait Paris et parce que nos théâtres nous aident à traverser l’épreuve ; et puis, il ne faut pas faire ce plaisir au kaiser. Enfin il ne faut pas les fermer parce que ce serait mettre sur le pavé des milliers et des milliers de braves gens. Le personnel des théâtres a été très éprouvé par la guerre ; il n’a pas vu, lui, ses salaires augmenter et ses gains monter scandaleusement. Il y a dans ses rangs beaucoup et de cruelles misères : il lutte pour le pain quotidien. Il lutte courageusement, car ce dont j’ai été le témoin l’autre soir à la Comédie-Française s’est aussi bien passé dans tous les autres théâtres : depuis les artistes jusqu’aux machinistes et aux ouvreuses, tous ont montré le même sang-froid... Et j’ai écrit ces lignes pour rendre hommage aux acteurs de Paris et leur envoyer un cordial bravo, qui cette fois s’adresse non pas seulement à leur talent, mais à leur personne.


RENE DOUMIC.