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et auteur aussi de la fameuse Grande journée de Dieu en cinq coupes d’amertume et en vers. Ce duel passionna la société d’alors, et l’article vaut qu’on s’y arrête. Le roman en cause y est violemment critiqué, au nom de la morale, de la famille, etc. Ce morceau est un échantillon curieux de la mauvaise rhétorique du temps. D’abord l’auteur trouve, et très sérieusement, que notre littérature est en danger, il trouve aussi que cette œuvre nouvelle sent « la boue et la prostitution ; » il trouve... mais laissons-le parler. En secouant son glaive, il dit : « Il faudrait que les lèvres de la critique, comme celles du prophète, fussent purifiées par un charbon ardent, afin qu’il ne s’en échappât aucune parole devenue ignoble et dévergondée, au frottement des pensées ignobles et dévergondées. » Et, encore plus terrible, il poursuit ; « Le jour où vous ouvrirez le livre de Lélia, renfermez-vous dans votre cabinet (pour ne contaminer personne). Si vous avez une fille dont vous voulez que l’âme reste vierge et naïve, envoyez-la jouer aux champs avec ses compagnes. » Mêmes conseils pour une jeune femme : il faut l’éloigner aussi, l’envoyer au bal. « Car votre fille, loin de vous, ne courra pas autant de dangers que sous vos yeux, si ce livre lui tombait sous la main, et quelque légers que soient les propos nés de la liberté d’un bal, ils ne glisseront jamais autant de poison dans une âme, que les pages corrosives de Lélia [1]... » Et il y en a comme ça des pages !

Les amis de George Sand s’émurent en lisant cet anathème, Sainte-Beuve écrivit une lettre au National, — et Planche [2] se battit pour George ! Musset prit mal l’indignation de Planche et son intervention, car l’intervention revenait de droit à Musset… puisque...

George Sand écrit à Sainte-Beuve, le 25 août : « Je suis très insultée, comme vous savez, et j’y suis fort indifférente. Mais je ne suis pas indifférente à l’empressement, et au zèle, avec lequel mes amis prennent ma défense... »

Pourtant le zèle de Planche fut mal accueilli, car, à la suite des premières attaques, George Sand ayant eu l’idée, — assez

  1. L’Europe littéraire, 22 août 1833.
  2. Planche défendit aussi le roman dans la Revue le 15 août 1833, il en fit un grand éloge. Je pense que les pages de Musset que l’on a lues plus haut devaient primitivement former un article, confié ensuite, vu le bruit qui s’était fait autour de Musset et Sand, à Planche.