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confiné, il surveilla attentivement la politique intérieure. Il discernait de loin les courans qui se manifestaient et, en appelant successivement au pouvoir les ambitions impatientes, il sut toujours, au moment voulu, museler l’opposition et faire primer sa volonté. Mais l’intérêt qu’excite pour nous son action personnelle se concentre dans la politique extérieure, dont un accord tacite des partis lui avait abandonné l’entière direction.

« Je suis mon Fouché et mon Talleyrand, » se plaisait-il à dire à ses intimes qui le félicitaient de ses succès. Voilà ses deux modèles. Nous avons vu Fouché à l’œuvre, quand il se débarrassa de Stamboulof. Examinons maintenant comment s’est comporté Talleyrand.


III

Son habileté éclate tout de suite, en même temps que sa duplicité naturelle, dès qu’il est informé de son élection au trône de Bulgarie. Il ne tient aucun compte des conditions posées par l’acte de Berlin : firman d’investiture du Sultan, reconnaissance de l’élection par les grandes Puissances. Il n’écoute même pas les conseils de patience du gouvernement autrichien, dont il était le candidat secret. Ayant reçu la députation du Sobranié, chargée de lui notifier le choix de l’assemblée, il écrit au tsar Alexandre III, alors à Copenhague, sollicitant sa « bénédiction, » sans laquelle il n’accepterait pas la couronne, et il part aussitôt pour la Bulgarie, de sorte que la lettre du Prince parvient à l’Empereur en même temps que la nouvelle de son entrée à Sofia, où il est acclamé. On ne se moque pas plus effrontément d’un souverain, de qui l’hostilité était aussi à craindre que la bienveillance était à ménager, et l’on ne traite pas plus lestement un congrès européen et ses protocoles. Ferdinand avait calculé que les Puissances, incapables de prendre une résolution commune, ne s’entendraient pas pour le mettre dehors ; dans ce cas, possession .vaudrait titre. Et il ne s’inquiéta pas outre mesure de n’être pas reconnu par elles, certain qu’elles finiraient par s’exécuter tôt ou tard. La reconnaissance toutefois se fit attendre pendant neuf ans.

Il lui fallut d’abord se réconcilier avec la Russie, qui le boudait avec ostentation, car cette attitude s’imposait comme un exemple aux autres cours. La conversion de son premier