Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ligne de Tchataldja, après que leur foudroyante offensive eut assuré la délivrance de la Macédoine, but avoué de la croisade, et mis entre leurs mains presque toute la Thrace. On sait qu’à Tchataldja ils se heurtèrent finalement au veto de la Russie.

Dans la guerre fratricide pour le partage des dépouilles, la conduite de Ferdinand parait au premier abord inexplicable. Pourquoi un homme si avisé et si prudent s’est-il laissé entraîner à commettre cette faute politique impardonnable, sans parler de la perfidie de l’attaque brusquée contre les Serbes et les Hellènes ? Il faut donc que l’inquiétude que lui inspirait, avant l’écrasement de la Turquie, le sort des batailles se soit transformée en une confiance illimitée dans la supériorité de son armée. : Il est avéré aussi que l’âpreté au gain du peuple bulgare, l’influence et les menaces des Macédoniens, ne lui auraient pas permis de consentir à un partage équitable de la Macédoine, non plus qu’à l’abandon de Salonique. Ambition, orgueil et convoitises aveuglèrent également le souverain, son peuple et ses soldats.

Le châtiment ne se fit pas attendre. Le Tsar bulgare a bu jusqu’à la lie l’humiliation de la défaite. Ses demandes suppliantes d’intervention à la France et à la Russie restèrent sans effet. Son télégramme au roi de Roumanie, qui a dû coûter le plus à son orgueil, n’arrêta pas la marche de l’armée roumaine. Après son refus de se prêter à un accommodement avec la Serbie et la Grèce, il avait lâché la proie pour l’ombre, dégarni la Thrace et concentré toutes ses forces contre ses anciens alliés. Les Turcs, qui ne professent pas plus que lui la religion des traités, lui jouèrent le mauvais tour de violer immédiatement celui qu’ils venaient de signer à Londres, de reprendre sans coup férir Andrinople et d’envahir ses États. La leçon, pour méritée qu’elle fût, ne pouvait pas être plus cruelle.

Dans ces circonstances néfastes, l’altitude du peuple bulgare mérite d’être soulignée. Pas de récriminations contre le souverain, auteur du désastre national, pas de manifestations hostiles. On eût dit que la complicité dans la faute liait le Tsar et ses sujets plus étroitement que ne l’aurait fait la communauté dans la victoire. Ils n’osaient rien lui reprocher, parce qu’ils se sentaient aussi responsables que lui du dénouement de l’aventure où ils s’étaient ensemble précipités. Il n’y eut de sacrifiés que le ministre Danef et ses collègues. Mais c’est le