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sommet pelé. C’est le Mont Saint-Quentin, au delà de Péronne, redoutable sentinelle qui surveillait tout le champ de bataille.

Cette plate étendue du Sauten ne se découpe vraiment qu’aux approches de la Somme. L’appel des eaux vers la rivière a creusé des vallons, entre lesquels les parties du plateau restées intactes prennent l’aspect de monticules. C’est ainsi que, juste devant Péronne, le terrain forme un de ces monticules, la cote 97, qui portait la Maisonnette. Il reste encore les traces d’une porte, qui ne conduit plus nulle part. Mais de là-haut, la vue est magnifique sur Péronne, les étangs, la vallée, et la masse pâle du Mont-Saint-Quentin.

Imaginez enfin, à la fin de juin, l’aspect particulier du paysage à la veille d’une bataille : d’abord ce qu’on peut appeler la zone de calme. C’est une vaste solitude, qui règne à l’arrière immédiat du champ de bataille. Sur ces pâles espaces, pendant des kilomètres, rien ne vit. Parfois seulement on rencontre un convoi ou une relève, et le silence s’étend de nouveau. Dans le creux d’un vallon, sous un bois, près du rideau de peupliers qui borde une rivière, on voit l’agitation d’un bivouac. Sur une pente dérobée aux vues de l’ennemi, apparaît tout à coup une sorte de camp : des hommes, des chevaux, des voitures. Les collines sont trouées d’abris, percées de galeries et de dépôts de munitions ; l’entrée de ces abris est encadrée de deux jambages et d’un linteau en sacs à terre. Mais il faut s’approcher assez près de la ligne de feu pour que le paysage prenne cet aspect particulier d’immense chantier, à la fois dévasté et organisé, qui est la vraie figure du champ de bataille. Les plaines où l’on se bat ressemblent à des villes en construction. Quand l’action est vive, cette zone, aussi bien que la zone qui est à l’arrière, reçoit des obus. En août, on les voyait tomber presque sans interruption, tantôt sur un point, tantôt sur l’autre. Des ruines d’un village ou du coin d’un bois surgissait l’arbre touffu de fumée noire qui pousse en un instant là où l’obus a éclaté ; ou bien la fumée vert pâle du 130 développait son nuage lumineux et couleur d’absinthe. Dans cette zone, tous les arbres sont morts ; les trous d’obus écorchent le limon ; on rencontre des tranchées, tracées comme des lignes de craie ; les restes d’une verdure pâle couvrent les intervalles. Dès qu’on revient vers l’arrière, les moissons magnifiques revêtent le sol d’un manteau bruissant ; les peupliers marquent les vallons étincelans comme