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pause, durant laquelle on imagine les regards et l’essoufflement de l’attaché, le secrétaire promet qu’il retardera les révélations, mais il met à son retard la condition suivante : l’agent diplomatique de Sa Majesté Impériale voudra bien lui apprendre, ici même et tout de suite, comment, par quel intermédiaire il a eu connaissance de son message téléphonique au Président, et cela au moment précis où le Président prenait connaissance de ce message. Se pourrait-il en vérité que, contre tous les usages de la diplomatie, voire de la civilité, M. l’attaché eût des intelligences, des espions dans les services de l’Etat ? Aurait-il donc violé d’aussi patente façon l’hospitalité qu’on lui accorde ? En vérité, le fait serait trop grave. Le secrétaire se refuse à le croire.

Voyant qu’il s’est trop avancé sur un terrain pour lui peu solide, l’attaché se trouble d’abord ; puis, et ainsi que font généralement les gens violents, il crie plus fort, il injurie, il menace, il prétend enfin, à coup de fureur et de bruit, se persuader à lui-même et au monde que les droits sont de son côté, les torts de l’autre. L’Américain, qui est bon athlète, ne se trouble ni des vociférations ni des gestes. Il prend son chapeau, sort, et va conter l’anecdote au journal officieux qui la publie dès le lendemain sans aucune restriction ni commentaire.

L’histoire fit, bien entendu, la joie de Washington. Elle aurait fait aussi celle de l’ambassadeur allemand. On assure que, contant lui-même la scène dans un salon ami, imitant l’accent, le bredouillement et la fureur de son déplorable attaché, il y fut d’un comique irrésistible.

Soit qu’il eût remarqué qu’un collaborateur de trop longue date est toujours un témoin gênant, soit que, connaissant bien le caractère allemand, il eût ses raisons de voir dans tous ceux qui l’entouraient des espions et des traîtres, soit qu’il y eût de tout cela dans les sentiments que tout le monde lui a prêtés, et qui concordent avec ceux qu’il faisait effort pour dissimuler au départ de tel ou tel de ses collaborateurs de la veille, il semble bien qu’il ait été surtout satisfait du rappel de ses deux complices. On ne voulut voir encore que satisfaction et joie chez lui lorsque les deux attachés, quelques semaines plus tard, le 29 décembre, quittèrent Washington pour Berlin. Et rien absolument ne marque qu’il y eût autre chose.

On a dit qu’il avait, le soir même du départ, parodié avec