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rigoureuses et que celle-ci reprendra la guerre. Qu’on envoie tout de suite une armée pour la secourir. Mais où prendre des troupes ? Le gouvernement terrifié voudrait gagner du temps en cachant la signature de l’armistice ; il fait annoncer que des soldats allemands sont à Sofia, que la Turquie expédie des divisions, que Ferdinand proteste de sa fidélité...

Le peuple allemand se sent perdu. Les Anglais viennent de reprendre l’offensive et de dépasser les défenses de la ligne Siegfried. Chacun comprend alors que Ludendorff a trouvé son maître. Les fameux « experts militaires » déclaraient depuis deux mois que le généralissime français montrait une « pauvreté d’imagination stupéfiante » et faisait consister toute la stratégie en un « martelage brutal, » tandis que Hindenburg et Ludendorff avaient fait de la guerre un « art subtil. » Ces calembredaines sont maintenant démodées ; la presse commence à parler avec inquiétude de la « stratégie démoniaque » de Foch. Alors, au sentiment de la défaite s’ajoute la terreur de l’invasion. Le 28 septembre paraît dans le Vorwærts un étrange article où sont évoquées les images les plus sinistres. Ce sont là sans doute arguments politiques destinés à obtenir l’entrée des socialistes dans le ministère ; mais, en même temps, ils expriment l’épouvante qui commence à hanter les imaginations et décidera la nation entière à accepter toutes les capitulations.


Il faut aujourd’hui nous représenter courageusement la situation suivante comme pouvant devenir possible et réelle.

La Bulgarie abandonne la Quadruplice et conclut la paix avec l’Entente. L’Autriche-Hongrie et la Turquie se joignent à elle dans cette démarche. Cela veut dire que, vers le Sud Ouest, nous ne pouvons étendre le bras plus loin que Bodenbach, que nous perdons toute influence sur les parties de la Pologne et de l’Ukraine occupées par l’Autriche. Nous voilà, nous, peuple allemand, seuls en face des Français, des Anglais, des Italiens, des Américains et des autres peuples, leurs auxiliaires ; nous nous battons arc-boutés au mur, avec, devant les yeux, la vision de notre ruine.

Il faut continuer de développer cette image. Le courage abandonne les soldats, le front occidental s’effondre, l’ennemi envahit notre pays. Des villes allemandes disparaissent dans les flammes. Des multitudes de réfugiés affluent vers l’Est ; ces foules se mêlent à l’armée qui, elle, reflue en désordre ; elles pénètrent dans nos cités, remplissent les maisons, débordent, campent à la belle étoile,