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emparés du pouvoir après la chute de Bethmann-Hollweg, ils étaient arrivés à ressaisir l’opinion qui, alors déjà, était profondément abattue. Au commencement d’octobre 1918, la crise était, sans doute, plus grave, la défaite avait compromis la popularité des deux dictateurs ; cependant les organisations pangermanistes étaient encore puissantes, le nom de Hindenburg n’avait pas perdu tout prestige ; qui sait si, en exploitant la crédulité et l’obéissance du peuple, on ne l’eût pas décidé à faire meilleure contenance et à risquer les chances d’une suprême résistance ? Au lieu d’adresser ce dernier appel au patriotisme de la nation, Ludendorff tenta d’assurer le salut de l’armée et de l’Empire par une machination politique qui acheva la démoralisation de l’Allemagne.

Ludendorff était omnipotent. La section politique du Grand Quartier général formait un gouvernement occulte au service duquel travaillaient la police de la Section des renseignements et la propagande de l’Office de presse. Il est difficile d’apprécier l’action proprement militaire de Ludendorff, car aucun indice sérieux ne permet encore de percer le secret de sa collaboration avec Hindenburg ; mais on sait les tendances et les résultats de sa politique. Il a été le maître des négociations de Brest-Litowsk. C’est lui qui a imposé l’offensive du printemps de 1918. Il a voulu « ordonner le monde par la violence, » pré- tendre à un rôle « héroï-politique ; » son humeur et ses rêves étaient d’un Napoléon. D’ailleurs, pour connaître l’homme et sa mégalomanie, il suffit de lire un rapport officiel et secret qu’il a rédigé en mars 1913, sur le renforcement de l’armée allemande, rapport qui, tombé aux mains du gouvernement français, fut publié dans le Livre jaune.

Comment ce soldat brutal, ce pangermaniste forcené mit-il un jour tout son espoir dans une combinaison aventureuse, dans un pauvre stratagème de politicien ? Ses amis ont conté qu’exténué par le labeur formidable de quatre années de campagne, il avait subi une grave dépression nerveuse à la suite de la défection de la Bulgarie. Ce qui dès maintenant est hors de doute, c’est que la « démocratisation » de l’Allemagne et la demande d’armistice furent décidées au Grand Quartier.

En manigançant cette double comédie, Ludendorff espérait donner une apparence de satisfaction aux socialistes, sauver la dynastie et la caste militaire, jeter le désordre chez l’ennemi