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Theodor Wolf, le rédacteur en chef du Berliner Tageblatt le compare à une malle qu’on n’a cessé de rouvrir et de refermer, jusqu’au dernier instant, pour y glisser quelque objet oublié. La note élude sournoisement les demandes positives du président Wilson, mais l’accent est humble, obséquieux, presque le ton de l’excuse. Dans ses journaux, le gouvernement cherche à reprendre certaines concessions : l’Allemagne ne peut pourtant pas évacuer sans des garanties ! l’évacuation doit être progressive, etc.. Mais ces atténuations tardives et maladroites ne satisfont guère l’opinion publique, qui devient chaque jour plus menaçante. « Dans les rues, dans les ateliers, dans les bureaux et les comptoirs, dans nos foyers, on se demande partout : « Comment ce revirement de la guerre a-t-il pu nous surprendre si subitement ? » On cherche les causes. Mais, comme les Français en 1871, on va plus loin et déjà beaucoup s’écrient : « C’est un tel qui est coupable ! » Et l’on continue, toujours comme les Français en 1871 : « Nous avons été trompés ! On nous a menti pendant toute cette guerre… » (Dusseldorfer Nachrichten, 22 octobre.) Deux jours après, la Frankfurter Zeitung fait savoir à l’Empereur qu’on eût été heureux de le voir « tirer lui-même les conséquences personnelles qu’impliquent certains événements. »

Sur ces entrefaites, le président Wilson annonce qu’il va transmettre aux autres belligérants la proposition d’armistice. La nouvelle est accueillie avec joie : l’heure des négociations semble approcher. En attendant, on juge opportun de faire aux ennemis du militarisme allemand le sacrifice d’une victime illustre. Le gouvernement se débarrasse de Ludendorff, auteur de la désastreuse demande d’armistice. Le peuple, qui a déjà perdu le souvenir des services rendus autrefois par le collaborateur de Hindenburg, est persuadé que l’Entente sera sensible à ce nouveau témoignage de « démocratisation, » et qu’un obstacle à la paix vient de disparaître. Dans tous ces subterfuges par lesquels l’Allemagne terrifiée s’ingénie à conjurer l’inévitable, la sottise le dispute à la lâcheté. Ludendorff écarté, l’on annonce au monde que dorénavant « les autorités militaires sont subordonnées aux autorités civiles. » D’ailleurs, il n’est pas question de toucher à Hindenburg, le chef de Ludendorff, et cette anomalie ne surprend personne, même parmi les plus antimilitaristes.