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les Fourbus de la cathédrale, les Memlinc de l’hôpital Saint-Jean, la châsse de Sainte Ursule, attendent on ne sait dans quelle ombre protectrice la fin de la tourmente. J’ai vainement tenté de revoir à Saint-Jacques, en mémoire de Barrès, la tombe de Ferry de Gros, le bourgeois aux deux femmes. Il reste seulement le chef-d’œuvre qu’on ne pouvait camoufler ni retirer de son cadre, l’incomparable chef-d’œuvre que composent avec la saison mourante les monuments du passé au bord des eaux mélancoliques, cet écrin de beautés que forment les perspectives du Dyver, et puis, dans une chapelle latérale de Notre-Dame, deux tombes, qui ne renferment même pas de cendres, mais seulement des souvenirs, les cénotaphes de cuivre du dernier des ducs de Bourgogne et de sa fille.

La tombe du Téméraire, la tombe de l’homme d’airain qui fit trembler un siècle ! Encore un grand rêve évanoui, — une ombre, tout ce qui reste des tragédies de l’histoire. Quel sujet de songes, aujourd’hui, que la destinée de ces hommes de désir et de violence, celle du farouche être de proie, du grand rapace étendu là sur son lit de parade, au milieu des blasons, des titres de son orgueil héraldique ! Ce qui gît là, c’est déjà la chimère d’une « Europe du milieu, » rejoignant les deux mers, la Flandre à la Provence, par le Rhône et la Meuse. Et ce sont les exemples, les horreurs de l’été de 1466, Dinant, Liège brûlées, rasées, exécutées férocement, au nom de Dieu !… O Belgique, comme ton histoire se recommence ! Et pendant ce temps-là, dans la Bruges du Téméraire, le tendre, le suave Memlinc peignait ses peintures divines.

Et les Allemands, que reste-t-il de leur passage ? Pauvres Boches ! On ne parle que de leurs destructions, quelle injustice ! Ils ont saboté le port, mais ils l’avaient achevé. Ils se croyaient si bien chez eux ici… et pour toujours ! Ah ! ils ont travaillé. J’ai vu leurs monstrueux canons, leurs bétonnages formidables et ces cyclopéens travaux d’Ostende, de Knocke, de Reversyde ; j’ai vu cette côte cuirassée, blindée, les dunes changées en pâtés de tours et de bastions, la forteresse, le triple étage, le terrible râtelier de feux qui défendait Zeebrugge, le repaire à pirates, le chenil aux requins ; j’ai vu la pièce de Lugenboem, la scélérate grosse pièce qui bombardait Dunkerque, dans ses casemates géantes, dans son ostentation d’ogresse et dans la machinerie de son installation-réclame. Je