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talisman. Sa grâce faisait le charme de Nieuport. Elle se montrait, intrépide et toujours souriante, jusqu’à une portée de grenade, aux postes mêmes des guetteurs. Nos Provençaux, la voyant si légère et presque immatérielle, laissant à peine une trace de ses pas sur le sable, l’avaient surnommée la Fauvette.

Je me rappelle ma surprise, la première fois que je l’aperçus. C’était là cette Reine qui aurait un nom dans l’histoire, cette Reine toute vivante entrée dans la légende, sœur en poésie des princesses fameuses par l’infortune ou la beauté ! Elle visitait un hôpital d’enfants : et rien qu’à la voir se pencher sur chaque petit lit, jouer avec l’enfant, l’embrasser, lui parler de cette voix qu’on entend à peine, singulièrement sourde et grave, et qui n’est qu’un souffle, on avait l’impression d’une tendresse si rare qu’elle devenait presque un pouvoir de guérir. La salle en fut illuminée. Un de ces pauvres mioches, gagné par cette liesse, dans sa chemise de cotonnade rose, fit sur son lit un saut de carpe.

Je la revis cette année, le dimanche de Pâques, dans cette chapelle de La Panne dont elle s’était plu à faire un reliquaire des églises du champ de bataille. La chapelle, — c’était au début de l’offensive de mars, — était toute désolée, veuve de ses œuvres d’art, moins altérée pourtant que le visage de la Reine : visage inoubliable, ce jour-là, d’angoisse contenue, avec ses pauvres traits et ses doux yeux à faire pitié, sa mine qui trahissait le tourment de tant de mauvaises nuits.

A quoi songe-t-elle aujourd’hui ? Peut-être, au milieu de ce triomphe, si elle vient à penser à ces années d’exil, à ce temps d’avenir douteux où il semblait que tout lui manquait sur la terre, se dit-elle que ce fut là pourtant le beau temps de sa vie ; peut-être regarde-t-elle sans amertume ces jours de tempête et de hasard, de gloire et d’aventure et ne dit-elle pas adieu sans regret à cette vie de campagne, parmi la guerre et les périls, qui a fait d’elle l’héroïne que la patrie accueille avec des transports d’amour.


V. — LE CARDINAL MERCIER

Anvers, 19 novembre. — Les conventions de l’armistice s’exécutent, la marche de nos armées suit la retraite allemande ; nous entrons aujourd’hui dans Anvers.