Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des consuls et du Sénat romains, ces ornements contemporains d’un saint Ambroise (et l’homme qui les porte est de la race de ces grands hommes), toutes les majestés résumées, comme dans une esquisse de Rubens, dans ce tableau de quelques traits, sur deux mètres carrés de parvis : où trouver un pareil abrégé du monde, un tel raccourci de poésies, une plus noble vision sur la terre et une plus pathétique rencontre des choses idéales ?

Comme c’est simple ! Comme une pareille image est claire et chargée de sens ! Qui ne la comprend dans cette foule ? Mais la visite finit, les souverains se retirent. Le cortège s’éloigne processionnellement, le cardinal-primat en tête, dans le même ordre qu’il est venu. Alors, si vous voulez savoir ce que c’est qu’un cri, il faudrait pouvoir décrire ce qui se passe : dans les stalles du chapitre, où sont les personnages d’Eglise, les tendres gestes d’adieux, les mouchoirs qui s’agitent, comme un mouvement muet du regard et des lèvres ; on sent une passion d’amour, une émotion qui s’accroît et s’enfle de rang en rang, on voit pour ainsi dire naître un besoin d’expression sur les visages de la foule ; le cri s’y forme, avant d’exister, comme une chose déjà sensible ; et puis c’est un éclat de tonnerre, un immense : Vive le Roi ! un fracas qui roule et renaît et retombe des voûtes. Et jamais depuis l’origine la vieille cathédrale n’a peut-être tressailli de quelque chose de plus pieux.


VI. — LE ROI ET LE BOURGMESTRE

Bruxelles, 22 novembre. — Bruxelles se réveille ce matin par un temps de triomphe, un temps de roi : un joli soleil, pas un nuage, un froid sec qui depuis hier soir a nettoyé les rues et mis toute la ville en tenue de gala. Dès huit heures du matin, foule immense dans la rue Royale et, sur tout le parcours du cortège, rubans, cocardes aux corsages, profusion de drapeaux. Beaucoup de gens ont fait teindre leurs draps. Le drap coûte cent francs.

L’endroit où se passe la revue est magnifique. Le vaste terre-plein qui s’étend entre les deux palais, le palais des souverains et celui de la Nation, séparés par les arbres du parc, offre un des paysages urbains les mieux ordonnés du monde : nos anciennes Tuileries devaient ressembler à cela. Le Palais de la Nation (la Chambre) servait aux Allemands, qui y avaient