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installé leur service des chemins de fer ; ils y laissent, comme partout, leur crasse ; on n’a pu enlever encore que le plus gros. Le prince Ruprecht n’a quitté Bruxelles que lundi ; c’est dommage qu’on ne l’ait pas retenu pour aujourd’hui. Les Boches, s’il en est resté ici incognito, pourront éclairer leur pays sur les sentiments de la Belgique, après quatre ans d’occupation.

Matinée d’ovations, de joie, de vivats sans fin ; il se mêle aux acclamations qui saluent les vainqueurs un soupir de soulagement, un cri de délivrance. Ajoutez la surprise, la curiosité devant ces uniformes bleus, khaki, inconnus : ces gens, depuis quatre ans, ne voyaient que du gris, ignoraient tout de l’univers ; ces Américains, ces Anglais, ces Français que voilà, c’est de l’air du large qui rentre, ce sont les portes de la prison qui s’ouvrent toutes grandes. Enfin, la division belge qui défile, c’est la division de Bruxelles : pas de nouvelles depuis quatre ans (Chacun reconnaît les siens, ce sont des cris de la foule, des appels de mères, de parents : « Henri ! Léon ! » Ce radieux retour est un grand et tendre revoir, fait de mille fêtes de famille. Les deux Belgiques si longtemps séparées, chacune de son côté de la cruelle ligne, se rejoignent et s’embrassent follement.

Le morceau capital de la journée n’est pourtant pas un spectacle du dehors. Figurez-vous ici un changement de décor, que la scène tourne comme dans un drame de Shakspeare et représente, après la rue, l’hémicycle du Parlement. C’est ce qui arrive pour le spectateur placé aux fenêtres du Palais de la Nation, et qui, après avoir contemplé la revue du côté jardin, n’a qu’à se retourner du côté cour pour assister à la séance de la Chambre.

Séance historique, épilogue d’une période qui se ferme, clôture d’un cycle d’orages, et en même temps ouverture, prélude de nouvelles destinées. Tout ici est double, regardant d’une part le passé, — quel passé ! — de l’autre embrassant l’avenir. Parmi les acteurs de cette scène, combien se rappellent l’autre séance, la dernière qui se tint en ce lieu, le 4 août 1914, celle où le Roi volontairement, gravement, au nom de tout son peuple, accepta les risques du combat et entra dans la guerre, avec ce sublime acte de foi dans les patries qui « ne peuvent pas mourir ! » Il faudrait avoir ces deux scènes présentes à la mémoire ou sous les yeux, se complétant l’une