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du Roi, et prisonnier lui-même, comme il a gouverné sa ville, ce fin bourgmestre, comme il a tenu tête aux Boches ! Quelle popularité pour lui dans ce Bruxelles goguenard et amateur de zwanze ! Aussi, c’est bien ici, dans ce forum de la Belgique, — plutôt que ce matin au long des avenues, plus même qu’à la Chambre devant les délégués du peuple, — que se fait la reconnaissance du Roi et de sa capitale. C’est ici seulement que la fusion s’achève. Moment splendide, en vérité, quand le Roi et le bourgmestre paraissant au balcon, sous le rayon des projecteurs, les fanfares d’argent des trompettes s’envolant des galeries, la place tout entière, qu’encadrent les façades d’or des vieux hôtels, les maisons de la Louve, du Cygne, du Renard, tout le passé glorieux des métiers et des gildes, mugit un chœur, un unisson de soixante mille voix, et exhale comme un grandiose Te Deum national, une gigantesque Brabançonne.

De cette minute étonnante, il en reste quelque chose jusqu’au milieu de la nuit. L’apothéose se prolonge comme un crépuscule d’été, avant de consentir à mourir, s’attarde à tout ce qui peut garder ou réfléchir de la lumière. Ce sont, tout le long de la colline, des cortèges qui se forment, des rondes, des monômes. Toute la nuit on danse aux chansons sur la place. Un besoin de gaieté, de tendresse est dans l’air. Chacun a trouvé sa chacune. On promène des drapeaux. Partout des Marseillaises. Des farandoles se nouent, se dénouent, entraînent Jasses, Sammies, Tommies, Poilus, avec des jeunesses des Marolles, dans une sarabande charmante. Soir de kermesse populaire, mais rien de canaille, pas un pochard. Danse heureuse, danse innocente, ronde d’éphémères presque touchante au milieu de ces scènes d’histoire. C’est le bonheur d’un peuple qui a retrouvé la vie.


VII. — SOUVENIRS DES MAUVAIS JOURS

Cette gaieté dure quelques jours avant de s’éteindre. Il y a si longtemps qu’on en était privé ! On respire. On ne sait faire autre chose que de jouir de ce bon air qui rentre. Faisons comme tout le monde, flânons, cueillons quelques croquis et, puisque tout le monde cause, causons. Qu’est-ce qu’on a fait à Bruxelles, qu’est-on devenu depuis quatre ans qu’on ne s’est vu ?