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seulement quelques impressions rapides. J’ai longuement écouté, dans leur hospitalière et admirable bibliothèque, les savants héritiers de l’œuvre de Papebroeck. Les critiques impeccables, les irréprochables éditeurs des Acta sanctorum et des Analecta bollandiana sont des historiens, des témoins dignes de foi, s’il en est. Ce qu’ils m’ont conté, là-haut, dans leur paisible « librairie, » c’est tout un roman qui passe de bien loin en intérêt les ingénieuses combinaisons du roman-cinéma, un roman dont Balzac eût fait quelque nouvel Envers de l’histoire contemporaine ou quelque Ténébreuse affaire ; et le plus prodigieux de l’aventure, c’était de découvrir le rôle inattendu que jouaient dans cette tragi-comédie les hagiographes austères que j’avais pour interlocuteurs.

Il est clair que chacun a fait son devoir en Belgique et que le patriotisme n’y a pas été plus qu’ailleurs le monopole d’une confession ou d’un parti. L’Eglise a été toutefois, pendant l’occupation, la force irréductible contre laquelle s’est usée en vain la force allemande. On a eu un nouvel exemple de la vanité des entreprises de l’Etat contre un pouvoir spirituel. On sait déjà quel fut en ce sens le rôle du cardinal Mercier. Un mot de lui libéra les âmes. Toutes les chaires devinrent des tribunes. Les Boches n’avaient pas tort de se plaindre du clergé ; leur sottise fut de lui reprocher des crimes sans vraisemblance, la colère les égara. Mais le clergé belge revendique l’honneur d’avoir été, sous le joug allemand, l’âme de l’indépendance. Pendant toute l’occupation, les églises furent l’asile inviolable du drapeau ; la patrie écrasée se resserra autour des autels. C’est là seulement que les fidèles purent chanter les hymnes nationaux ; c’est de là que prit son vol le beau chant Vers l’avenir. L’Eglise une fois de plus fut le refuge des libertés. A quel prix ! Aucun corps en Belgique n’a la gloire de compter plus de mois de détention, plus de condamnations, de déportations, de vexations de toute sorte. Quel prêtre a échappé aux geôles allemandes ? La prison de Bruxelles, on ne l’appelait plus que le « séminaire de Saint-Gilles. »

Ce magnifique sujet, je ne puis que l’effleurer. Quelqu’un fera un jour cette histoire des prisons, des bagnes, des chiourmes, cette longue et pathétique histoire du Purgatoire de la Belgique. Il y joindra l’histoire plus extraordinaire encore des organisations secrètes, des intrigues, des complots, sans cesse traqués,