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dépistés et toujours renaissants, par lesquels la Belgique s’efforçait de tromper ses tyrans, de faire passer au dehors des nouvelles et des recrues, de traverser le réseau de plus en plus serré des sentinelles, des patrouilles et des fils électriques. Telle de ces agences a réussi à faire passer 800 000 lettres. Tel « passeur » a franchi soixante fois la frontière, a « passé » en Hollande plus de deux cents jeunes gens. J’ai connu ce fameux Henri, le virtuose du genre, type de braconnier, farouche tête de « Gueux, » sublime de dévouement et de pénétration rustiques : un vrai héros de chouannerie. Une chouannerie, en effet, c’est bien ce qu’évoquent tout d’abord ces étranges sociétés, aux ramifications multiples et imprévues ; quel monde singulier, romanesque, laisse entrevoir le dossier d’un seul procès d’ « espionnage ! » Tous les rangs confondus, toutes les classes sociales, des curés, des hommes d’affaires, un ouvrier peintre en carrosserie, des religieuses patriotes, une fille galante nommée Hermine, chargée d’ « éclairer » le Boche, d’escamoter les fiches et de surprendre les secrets ; plus loin une grande dame, portant le nom d’une famille princière : tout cela résolu et bravant froidement le peloton d’exécution, travaillant de concert, chacun dans son emploi, dans la haine du Boche et la passion d’une même idée.

Un des chapitres les plus curieux serait celui de la presse clandestine. Qui n’a entendu parler de la Libre Belgique ? Ce merveilleux petit journal tient certainement le record de la célébrité parmi les feuilles que personne n’a lues (hors Bruxelles). Aucun journal de guerre, aucune gazette de tranchées, ni le Diable au cor, ni la Chéchia, ni le Petit cheval de frise, n’a eu moins de lecteurs et une renommée plus mondiale.

Ce journal-fantôme est un des chefs-d’œuvre de la mystification. Il fut pendant quatre ans le cauchemar des Bissing et des Falkenhausen. Il mit pendant quatre ans la police allemande sur les dents. Trois fois celle-ci crut mettre la main sur le pot-au-rose, elle avait tout coffré, rédacteurs, imprimeurs, directeurs, elle tenait tous les fils de l’affaire, tout le monde sous les verrous. Alors, en pleine séance d’un procès si sensationnel, un huissier remettait un pli cacheté au président du tribunal : c’était le numéro suivant de la Libre Belgique.

Toute la ville s’égayait de celle zwanze de grand style. Pendant quatre ans, ce fut le sujet de risée de Bruxelles. Les