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Le 6 janvier, les otages se rendent à la gare. Leur famille, leurs amis les accompagnent. Il est sept heures du matin. Une fierté les soutient à l’idée qu’ils vont être appelés à souffrir pour la cause commune : « Après une dernière étreinte, nous pénétrons seuls dans l’intérieur. La consigne est formelle. » Les quais sont déserts. Quelques civils sortent d’une salle d’attente et s’approchent. Ce sont les otages de Saint-Amand arrivés la veille et qui ont passé la nuit dans l’ambulance de la gare.

Le capitaine Himmel paraît, grand escogriffe perché sur de hautes pattes d’échassier. Il passe en ricanant, fait faire l’appel, s’assure que personne ne manque sous le hall. Le vent souffle glacial ; le thermomètre indique sept degrés de froid : « Nous nous asseyons sur nos bagages, attendant que notre groupe se complète des otages amenés des communes voisines. » L’arbitraire a présidé au choix de ceux-ci. Les Kommandanturs locales semblent, dans la plupart des cas, avoir profité de l’occasion pour assouvir des rancunes particulières : tantôt, c’est le maire qui a été enlevé, tantôt c’est le curé ; là, c’est un grand industriel, ailleurs un cultivateur ; parfois, mais rarement, un ouvrier. Aucune considération pour l’âge et la débilité des victimes. Si quelques-uns des otages sont jeunes, la plupart sont des septuagénaires. Il y a des cas de barbarie particulièrement odieux. Dans un village des environs d’Avesnes, l’otage choisi est gravement malade ; il meurt avant le départ : les Allemands désignent la veuve comme devant partir, « en remplacement ! » Le maire, le curé se précipitent à la Kommandantur. Ils implorent ; ils supplient. Tout est inutile. Mme X… est enlevée. Internée à Holzminden, elle y languit quelques mois et finit par s’éteindre, épuisée autant par le chagrin que par les privations.

Roubaix et Tourcoing fournissent, avec Lille, les plus gros contingents : « Nous sommes maintenant plusieurs centaines ; mais le temps s’écoule. L’horloge marque dix heures et demie. Un train s’avance, composé de voitures allemandes de troisième et de quatrième classe. » Si peu engageantes soient-elles, — des vitres manquent et leur saleté est repoussante, — les otages les considèrent avec un sentiment de soulagement : « On nous avait dit que, malgré le froid excessif, nous voyagerions dans des wagons à bestiaux. »