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A onze heures et demie, le train démarre. A Douai, il prend vingt-cinq otages, presque tous des magistrats : deux présidents de chambre, un avocat général ; cinq conseillers à la cour… Avec une sympathie compatissante, on se montre le président Bosquet, qui n’a pas trouvé grâce, malgré son grand âge et ses infirmités.

La campagne s’étend vide et désolée sous la neige. Aux abords de Valenciennes, les établissements métallurgiques, naguère animés d’une vie intense, apparaissent ruinés, dévastés. De nouveaux otages montent. Le train s’enfonce dans la nuit qui, déjà, est venue. Étroitement serrés les uns contre les autres, les voyageurs demeurent dans l’obscurité. Les appareils d’éclairage sont en mauvais état : « Manchons, alles capout, » expliquent les soldats qui font la garde.

A plusieurs reprises, le convoi stoppe dans les ténèbres : à Hirson, pour prendre les otages de l’Aisne ; à Mohon, pour laisser monter ceux qui ont été pris à Mézières-Charleville : « A chaque arrêt, on ajoute de nouveaux wagons et, au matin, quand le train arrive à Montmédy pour un dernier chargement, notre convoi a une belle longueur : nous sommes six cents otages. »

C’est par la frontière lorraine que les captifs entrent en Allemagne. La neige tombe à gros flocons. Le train, qui se traîne avec une extrême lenteur, — vingt kilomètres à l’heure, — n’atteint le Rhin qu’au milieu du jour. Puis il pénètre dans les hautes forêts de la Thuringe couverte de sapins. A l’intérieur des voitures, il gèle littéralement. Par les ais disjoints, des glaçons se forment, qui pendent en stalactites. A Güben, où l’on arrive vers minuit, les soldats doivent casser la glace à la hache pour dégager les portières.

Depuis quatre-vingt-seize heures, sans repas, sans trêve, les malheureux roulent. Durant la quatrième nuit, ils franchissent l’Oder. Au matin, quand le soleil émerge, énorme fleur de pourpre sur la blancheur des neiges, ils sont à Posen : « Notre passage y a été annoncé. Des dames défilent devant nous, nous dévisagent ironiques, avec un sourire satisfait. »

La fatigue des prisonniers est extrême. Tous ont les pieds gonflés et endoloris. Plusieurs sont malades,. Parmi les otages