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se trouvent quatre médecins. A chaque arrêt, on les appelle pour donner leurs soins à ceux qui défaillent. Dépourvus de tout médicament, ils se désolent de leur impuissance !

La cinquième nuit passe interminable, dans une souffrance qui va croissant. Au petit matin, dans la grisaille du jour, on s’aperçoit que le commandant Baudelot, un vieillard de soixante-deux ans, reste immobile en son coin. Tassé sur lui-même, il a l’apparence d’un dormeur accablé sous le poids du sommeil. On lui parle, on le secoue : il est mort, pendant la nuit, frappé d’une congestion !

Le douloureux voyage se poursuit. Voilà six jours que les prisonniers ont quitté la France. Ceux-ci se sentent arrivés à l’extrême limite de leur résistance. Avec un morne accablement, ils contemplent le pays lithuanien où ils viennent d’entrer, où ils vont être condamnés à vivre : sur l’immensité des champs, des sapins et des bouleaux dressent leurs colonnes couvertes de glace ; quelques rares habitations dorment sous leur chape de neige. Dans cette solitude, parfois se lève un vol d’oiseaux carnassiers : gros corbeaux à ventre blanc qui, d’une aile lourde, tournoient aux portières des wagons.

Le train atteint la petite gare de Zosle. Il est huit heures du soir. Une discussion s’engage entre l’officier conducteur du convoi et le gouverneur du camp de représailles situé à sept kilomètres de la station et qu’il faut gagner à pied. « Finalement, la chose est reconnue impossible dans la nuit. On nous avait fait descendre : on nous fait remonter en wagon. Cahin-caha, nous sommes ramenés à quatre kilomètres en arrière et garés sur une voie. Le lendemain, on nous ramène à Zosle. » Dans quel état ! La plupart peuvent à peine se soutenir : brisés de fatigue et d’émotion, ils tremblent de tous leurs membres.

Ordre leur est donné de se mettre en route. Le long de la voie ferrée, la neige atteint quatre et cinq mètres d’épaisseur, et voici que, pour augmenter encore leur supplice, une tempête se lève, une de ces terribles « bouranes » fréquentes en ces régions désolées. Le vent fouaille les infortunés, la neige les aveugle : ils ploient sous le faix de leurs bagages...

Dans la tourmente, au loin, un bruit de sonnailles. Des traîneaux apparaissent, conduits par des moujiks engoncés dans leur épaisse touloupe. Alors, en dépit des sentinelles qui, brutalement, veulent les en empêcher, les prisonniers jettent