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— fourmillaient dans le camp. Quelle n’est pas l’horreur des prisonniers quand ils veulent procéder à l’ensevelissement du premier de leurs morts, de découvrir que la face en a été complètement rongée ! « Dans la suite, dit M. G…, pour éviter qu’un pareil fait ne vînt à se reproduire, nous avons eu le soin de suspendre nos morts. Nous les placions dans un hamac. »

Les Français n’avaient pas droit au cimetière du village. Tout ce qu’on leur concéda, ce fut une place, au bord de la route. On y creusait leur fosse à une faible profondeur, et il est bien à craindre que leurs parents n’aient même pas la consolation d’y retrouver leurs restes.


La plupart des décès sont dus à des affections des bronches et des poumons. Acharné contre ses captifs, le feldwebel multipliait les revues : il en faisait jusqu’à une tous les deux jours. « Pour les passer, on nous faisait sortir chargés de tous nos bagages, paillasse, couverture et matériel. » Tandis que les soldats allemands enfilaient par-dessus leurs souliers d’immenses bottes fourrées qui leur montaient jusqu’aux cuisses, les otages, chaussés seulement de leurs bottines de ville, demeuraient immobiles à attendre, une demi-journée entière, les pieds dans la neige. « Ce qui éternisait ces revues, c’était la difficulté qu’éprouvaient les soldats à compter le matériel. Tantôt, ils trouvaient des cuillers en trop ; ils recommençaient ; cette fois, il y en avait en moins… Même comédie pour les écuelles, pour les paillasses, pour les couvertures.

Les otages étaient contraints d’exécuter eux-mêmes toutes les corvées du camp. Plusieurs fois par jour, il leur fallait relever la neige, la brouetter. Les vieillards n’étaient pas exemptés. Le feldwebel n’admettait d’exception que pour ceux que, dans son omnipotence, il consentait à reconnaître gravement malades. Les otages devaient, dans la forêt, aller abattre les arbres. Les troncs couverts d’une épaisse couche de glace rendaient plus rude ce labeur ; les arbres abattus, restait à les débiter, à les transporter au camp. Les otages allumaient eux-mêmes leur feu : le bois vert et tout humide de neige brûlait mal. La grange s’emplissait d’une fumée âcre qui faisait pleurer et irritait la gorge ; les otages balayaient, nettoyaient le sol de la grange ; à l’aide d’une pelle, ils raclaient l’épaisse couche de