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boue qui se formait dès que, le poêle étant allumé, la terre se mettait à dégeler.

Comme punition, à la moindre infraction au règlement, le feldwebel infligeait des corvées supplémentaires. Il les choisissait parmi les plus abjectes : nettoyage des latrines, vidange de la fosse : « Il fallait faire cette vidange à la pelle, en emplir une brouette, puis transporter le tout, à quelque cent mètres, dans un ruisseau où, un peu plus haut, on puisait l’eau nécessaire à notre cuisine. » Des heures entières se passent à ce travail immonde, et quand les otages l’ont enfin terminé, ils gardent longtemps sur eux, dans leurs vêtements, une odeur infecte qui leur donne des nausées.

Ainsi qu’on le leur répète à toute occasion, ils sont là pour souffrir ! « N’oubliez pas que vous êtes dans un camp de représailles, leur déclare le capitaine qui les a spécialement sous sa garde. Le pays est abominable. Nombre de nos soldats y sont morts de froid, de privations, de maladies. C’est pour cela que le gouvernement allemand vous y a envoyés. J’ai des ordres spéciaux pour vous y rendre la situation dure. Mon supérieur m’a recommandé de vous appliquer un traitement de rigueur [1].

« Une fois cependant, la première, constate M. G..., le capitaine éprouva un sentiment de gêne en voyant l’ignominie du traitement que nous subissions. Il était venu de Wilna pour nous visiter ; avant de s’en aller, il promit de faire ses efforts pour adoucir nos maux, dans la mesure du possible. »

Mais ce n’étaient que vaines paroles : « II ne se soucia plus jamais de nous et nous abandonna complètement à notre bourreau, le feldwebel. »


Avec un stoïcisme admirable, les otages supportent le martyre qui leur est infligé. Ils tendent leur énergie, ils bandent leur volonté pour ne pas donner à leurs ennemis la joie de voir des Français perdre courage, s’humilier, demander grâce. Dans la grange où, dès trois heures et demie, l’obscurité régnait, les non-valides se couchaient. Les autres se réunissaient pour causer. Une fois, l’un des captifs eut l’idée de réciter des vers. Il choisit une pièce patriotique. Sa voix monta dans le silence ;

  1. « Je suis sûr et je certifie, déclare M. G..., que ce sont les paroles textuelles de l’officier. J’étais derrière lui et j’écrivais au fur et à mesure ce qu’il disait. »