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les cœurs des auditeurs vibraient à l’unisson : au cours de leur vie déjà longue, aucun ne se rappelait avoir éprouvé si intense émotion. Dans cette grange perdue au milieu des steppes, c’était comme si l’image de la Patrie se dressait devant eux, déchirée, saignante, mais immortelle.

L’exemple de M. X... fut un encouragement. Quelques-uns entonnèrent des chants, vieux chants du pays qui avaient bercé leur enfance. Des conférences scientifiques ou littéraires s’organisèrent. Parfois, des rires fusaient. Les Allemands en demeuraient stupéfaits :

— Ces Français, disaient-ils, qu’est-ce donc qu’il faut leur faire pour en venir à bout ?...


Une visite de « neutres » ayant été annoncée, les Allemands appréhendèrent l’indignation que soulèverait, contre eux l’abomination du traitement infligé aux otages. Brusquement, ceux-ci apprennent qu’ils vont quitter Milejghany : « Parmi nous se trouvait un Douaisien, M. Gallois, prix de Rome pour la musique. Quand il sut que notre départ allait avoir lieu, il composa un hymne qu’il intitula : « Salut aux martyrs. » Sous sa conduite, nous l’avons chanté le long de la route où étaient enterrés nos morts. » On était au mois de mars. Déjà haut sur l’horizon, le soleil faisait briller le tronc satiné des bouleaux. L’air était tiède.

Devant chaque tombe les captifs s’arrêtèrent longuement. Les prêtres, nombreux parmi eux, psalmodièrent le De Profundis Puis, les prisonniers s’éloignèrent chargés de leurs bagages. Le bruit des chants, par lesquels ils avaient dit adieu aux camarades, aux amis tombés et au lieu où ils avaient tant souffert, alla en s’éteignant, La grand’route parcourue, jadis, par d’autres Français, les soldats de Napoléon, retomba à son lourd silence :

« Dans des wagons à bestiaux, on nous conduisit dans notre nouveau camp, à Roon, près de Wilna. Des baraquements étaient installés dans une forêt de pins. Il y en avait quatre. Pour les distinguer, nous les baptisâmes entre nous, du nom de nos grands chefs : Joffre, Foch, Pétain et Castelnau. L’avenue qui les séparait fut celle de la Victoire ! » Dans ce site salubre, au sortir de l’enfer de Milejghany, c’est un soulagement,