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une détente : « Au moins, ici, s’écrie M. G..., nous avons de l’air, nous avons de la lumière ! Pour le reste, nous sommes encore fort mal. Notre couchage ne se compose toujours que de toiles remplies de frisure de bois et dans lesquelles la vermine grouille si abondante que beaucoup d’entre nous préfèrent se débarrasser de leur paillasse et s’étendre à même sur le bois de leur grabat... Nous avons de l’eau, enfin ! Elle est loin du camp, il faut aller la chercher nous-mêmes, mais elle est abondante, elle n’est pas fétide comme celle de Milejghany. »

Cependant, l’air pur et vif de Roon devient bientôt, lui-même, pour les captifs, une cause nouvelle de souffrance. En effet, leur appétit s’aiguise ; or, non plus qu’à Milejghany, il ne leur est donné de l’apaiser. L’insuffisance de la nourriture reste la même : « Jamais, nous n’avons été autant torturés par nos estomacs que nous le fûmes alors, durant les premières semaines... Nous avons payé jusqu’à cent quarante mark un pain noir que nous avions pu réussir à nous procurer et qui ne fournit que quelques bouchées à chacun... Les Allemands continuaient à nous priver de tout colis de France... Ce ne fut que plus tard que cette interdiction fut rapportée. Le 15 avril, les premiers envois de France nous parviennent : nous étions sauvés ! »

A peine les otages étaient-ils arrivés à Roon, qu’une délégation d’Espagnols les y vint visiter. « Tout de suite, nous résolûmes de leur faire entendre une protestation. Au moment où ils se trouvaient sur la terrasse, entre les baraquements, quelques-uns d’entre nous s’approchèrent, demandant l’autorisation de parler aux neutres. Nous fîmes remarquer qu’il ne fallait pas juger de la situation qui nous était faite, à Roon, avec celle que nous avions endurée à Milejghany. « Un témoignage est pluséloquent qu’aucune parole, dit l’un de nous, c’est le nombre des morts que nous avons laissés, là-bas... »

Cette protestation eut le don de courroucer grandement les Allemands. L’un d’eux, un colonel, se tourna et, prenant brusquement à partie, M. G..., un des protestataires :

— Vous avez tort de réclamer. Vous êtes des vaincus. Dans quelques jours (on était au 23 mars), nos soldats seront à Paris et à Calais.

M. G... eut un sursaut de tout son être :

— A Paris, jamais !