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Un éclair passa dans les yeux du colonel qui, dédaigneux, haussa les épaules.

Jusqu’au mois de juillet, la vie des captifs se traîne lente et monotone, occupée seulement par les corvées du camp. Depuis leur départ, six mois auparavant, ils n’ont pu recevoir une seule lettre de leurs familles restées en pays envahi ; ils n’ont pu donner de leurs nouvelles...

Lorsque enfin sonne l’heure de la délivrance, un détail marque curieusement l’hypocrisie allemande : les otages rendus à la France sont dirigés vers la Suisse en wagons à bestiaux ; mais, à la station voisine de la frontière, on les fait descendre, on les installe dans de confortables voitures de première classe.

« Ceux d’entre nous qui avaient désiré rentrer en pays occupé, furent d’abord envoyés au camp de Holzminden. Notre surprise fut grande d’y trouver les otages féminins enlevées huit jours après nous. Quelques-uns de mes compagnons reconnurent leur femme, d’autres leur sœur, d’autres encore leur belle-sœur ou une cousine. »

Rencontre émouvante ! Elle a lieu à travers les fils barbelés qui séparent, dans le camp, la partie réservée aux femmes, de celle attribuée aux hommes.

« Les sentinelles sont furieuses. Jamais je n’oublierai leur rage d’assister à la joie de ces malheureux, sans nouvelles les uns des autres depuis des mois et qui, brusquement, se retrouvaient. » Avec leur fusil, leur baïonnette, les soldats voulaient écarter les captifs des clôtures. Il fallut longtemps parlementer avec les officiers pour obtenir que les maris fussent réunis à leur femme et les frères à leur sœur ; encore l’autorisation fut-elle strictement limitée à ces deux degrés de parenté.

Après un séjour à Holzminden, les otages masculins reprennent leur route vers la France. Leur sort se confond maintenant avec celui des otages féminins que nous avons précédemment raconté. Les mêmes épreuves attendent les uns et les autres, à Montmédy, dans les casemates de la forteresse ; les mêmes émotions poignantes, quand ils retrouvent leur foyer et leur famille... Mais déjà l’offensive victorieuse des Alliés était commencée : c’était l’aube de la délivrance.


HENRIETTE CELARIÉ.