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la garnison française ou de risquer les inconvénients de la guerre. La ville étudia les éventualités puis elle envoya ses députés à Louvois. « Il leur dit que l’Empire et l’Empereur voulaient occuper la place ; le Roi prévenait le fait ; d’ailleurs, on ne toucherait pas à leurs privilèges ; il les invitait à dresser eux-mêmes les termes de leur capitulation, dont tous les articles étaient d’avance acceptés, pourvu qu’ils reconnussent au Roi la souveraineté que lui avaient concédée les traités de Munster et de Nimègue. » Les députés rapportèrent à la ville cette réponse. Les échevins se réunirent : la capitulation fut rédigée : Strasbourg admettait le roi de France « pour son souverain seigneur et protecteur ; » Louis XIV confirmait les privilèges de la ville, ses droits, statuts et constitutions ; il lui accordait la liberté de conscience et dispensait les bourgeois de payer aucune contribution. La souveraineté de la France fut acceptée à Strasbourg si volontiers que les Boches n’en sont point encore revenus. Pour essayer d’en revenir, ils supposent que la France avait acheté le Magistrat : c’est ce qu’ils auraient fait, probablement, ou ce qu’ils auraient tenté. Le syndic, un nommé Frantz, était vieux. Il donna sa démission ; et Güntzer le remplaça. Les Boches imaginent que Güntzer avait reçu quelque monnaie. M. Batiffol leur demande s’ils croient sérieusement qu’à lui tout seul ce Güntzer eût entraîné vers la France le Magistrat et le peuple de Strasbourg. Il leur demande aussi de produire une preuve, un indice au moins, de la corruption de Güntzer. Il ajoute : « La tradition s’est établie à Strasbourg au XVIIIe siècle que la ville s’était rendue librement à la France. On le dit et on le répéta ; l’on s’en fit gloire. En 1789, dans sa déclaration du 10 octobre à l’Assemblée nationale, la ville l’affirmait avec une certaine solennité : elle s’était « réunie librement à la France. » Déjà en 1681 Louis XIV le déclarait lui-même en priant ses envoyés auprès des cours étrangères d’annoncer que tout ce qui s’était fait à Strasbourg s’y était fait de concert avec les habitants et que l’attaque dont on avait menacée la ville n’était qu’un prétexte désiré par les habitants pour se mettre à couvert des reproches mal fondés de leurs voisins. » Voilà ce que les historiens allemands appellent une « conquête brutale, » si la conquête n’est pas allemande.

Louis XIV fit frapper une médaille avec cette devise : Clausa Germanis Gallia ; et Strasbourg, une médaille avec cette devise : Adserta urbis tranquillitas. La ville avait sa tranquillité assurée ; la France était fermée aux Germains : tout le monde se déclarait content, de ce côté-ci du Rhin. Louvois écrivait à Güntzer. le 11 décembre 1681 :