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« Si nous sommes obligés de reculer et d’évacuer Reims, nous détruirons la Cathédrale ![1] »

Sans doute ce ne sont là que propos recueillis en passant, dans la rue, et il ne faut pas leur donner une importance que peut-être ils n’ont point : mais il n’y a pas de fumée sans feu. Comment expliquer ces sons de cloche, ces menaces formulées dans la presse, ces réflexions, ces demi-mots, s’il n’y avait pas eu quelque chose dans l’air ?

Le prince Auguste Wilhelm n’a-t-il pas fait à la municipalité cette réflexion : « Détruire votre Cathédrale, ce serait un crime que je ne veux pas commettre et j’y fais mettre mes blessés pour la préserver ? »

La préserver, de quoi ?

Il la croyait donc menacée : par qui ?


On a tenté d’expliquer tous ces excès, toutes ces dévastations inutiles par un réveil brutal, sous la culture germanique, des passions ancestrales. C’est peut-être chercher bien loin.

Tous les Allemands ne sont pas redevenus, tout à coup, des barbares ; mais tous marchent, de gré ou de force, pour l’exécution automatique d’un plan de campagne raisonné, méthodique, conçu dans les hautes sphères du commandement et dont leurs écrivains militaires ont toujours parlé très librement : guerre d’extermination, de ravages et de massacres, où la terreur a son rôle, où l’épouvante déblaie des régions entières, à l’approche des armées ! Et, comme ils se complaisent au paradoxe, ils disent que d’être féroce, c’est encore une façon d’être humain, parce que cela dure moins longtemps, et, que, tout compte fait, il n’y a pas tant de victimes. Que la guerre fatalement entraîne des excès, c’est indéniable, aucune armée ne peut se garer de cette tare. Où est le peuple qui ne compte pas, de ce chef, des pages sombres dans son histoire ? Nous avons les nôtres que nous n’oublions pas.

Mais, chez eux, ces crimes ne sont plus des accidents, c’est un procédé. Cette conception sauvage de la guerre n’est pas le fait de quelques exaltés, c’est la mentalité des milieux militaires, politiques et intellectuels : elle est la conséquence de l’Impérialisme germanique, ce rêve fou de domination universelle

  1. Le propos a été tenu devant plusieurs personnes. M. Dramas, de l’Éclaireur de l’Est, l’a entendu de ses propres oreilles.