Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui hante tous les cerveaux allemands ; elle est raisonnée, réfléchie ; elle se présente sous le couvert, et mieux vaudrait dire encore, sous le pavillon d’une doctrine qui l’engendre et qui a la prétention de la justifier.

De cela ils ne se laveront pas.

Ils se disent, ils se croient la Race Supérieure et ils en concluent qu’ils ont droit à la suprématie, et tous les moyens leur sont bons, même les pires, pour l’imposer à qui la leur conteste.

Voilà le principe.

Tous leurs écrivains militaires, Reimer, Bernhardi, Frymann, von der Goltz, Glausewitz, von Hartmann et vingt autres, préconisent sans vergogne ces doctrines sauvages.

On pensait tout de même qu’en face de Notre-Dame de Reims, au moment de pointer leurs canons sur cette merveille de grâce et de puissance, dont chaque ciselure était une prière et chaque détail une œuvre d’art, la main des artilleurs prussiens tremblerait ; que les chefs sentiraient au fond d’eux-mêmes un sursaut de l’être humain ; qu’ils hésiteraient, qu’ils n’oseraient pas. L’âme farouche d’un sauvage tel qu’Attila eût été impressionnée.

Lorsque de Moltke, des hauteurs qui avoisinent Paris, vit, un beau matin, sous les rayons du soleil levant, s’éveiller la grande ville, il contempla, pensif, l’immense cité, des tours de Notre-Dame à l’Arc de triomphe, et on l’entendit murmurer : On ne peut pas détruire cela !

De Moltke, sur la colline de Berru, en face de la Cathédrale de Reims, en aurait dit autant : il n’aurait pas osé[1] !

Josias von Heeringen, en 1914, a osé !

Après Louvain, l’atroce récidive de Reims ! Et ils savaient ce qu’ils faisaient. Car « il n’y a pas que des brutes dans cette armée de Germains ; le peuple tout entier y passe avec ses savants, ses artistes, ses compilateurs, ses analystes, ses annotateurs minutieux, dont la patience, la précision, la méthode, font de l’Allemagne le pays de l’érudition par excellence. Ils savaient et ils ont pu quand même[2]. »

  1. Le maréchal de Moltke, en 1870, passa huit jours à Reims et les vieux Rémois se rappellent ses fréquentes visites à la Cathédrale. Il ne se lassait pas de l’admirer. Ils l’ont vu plus d’une fois assis dans l’arrière-chœur, silencieux, les jambes croisées, en contemplation devant la Grande Rose du Portail, oubliant « dans ce » spectacle de beauté, les secs calculs et les sanglantes visions. »
  2. Ed. Haraucourt, le Sacrilège.