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Paris, il vous sera facile de faire, ou de faire faire des démarches pour savoir quel serait celui qui serait le plus disposé à me donner un asile. Je ne voudrais jamais, s’il est possible, aller en Autriche. Cette résolution m’est sans doute bien pénible, puisqu’elle pourrait me séparer pour longtemps de la Reine et de mes enfants, et il faut avoir de bien justes motifs de me plaindre de ce gouvernement pour pouvoir même concevoir ce projet. »

Passant ensuite à ses biens, il ne voit pas pourquoi le Gouvernement provisoire aurait fait quelque difficulté à les lui restituer. Il a les contrats d’achat et nul ne saurait produire des contrats de vente. Il compte assez sur la justice de Louis XVIII, au cas que celui-ci remonte sur le trône, pour obtenir de lui l’équivalent des propriétés que la Couronne conserverait. « Je dois présumer, ajoute-t-il, qu’à l’époque où le Congrès se réunira de nouveau, la Reine agira de son côté pour nous faire obtenir une existence convenable, car je n’y ai pas moins de droits que n’en eut et n’en a l’empereur Napoléon, le roi Charles et la reine d’Etrurie (car, comme ces princes, j’ai été reconnu partons les princes d’Europe). Faites agir de votre côté pour chercher à nous rendre favorables les ministres de princes les plus influents. »

Ainsi, autant qu’il est permis de juger de ses projets, qui paraissent se contredire d’heure en heure, Murat a renoncé à solliciter l’Autriche ; il désire aller en Angleterre, mais sans se soumettre à la condition préalable de l’abdication ; il se croit en sûreté à Toulon, il n’a aucune idée de s’éloigner ; il ne réalise pas que, à chaque minute qu’il perd, il compromet ses chances de vivre. Convaincu de la générosité de Louis XVIII, assuré qu’il est resté roi tant qu’il n’aura pas abdiqué, il se plaît à des gestes souverains et il envoie au maréchal Brune la décoration de son ordre : « Mon cher Brune, lui écrit-il, je t’adresse la petite croix de mon ordre que tu as paru désirer. Dans l’état où m’a réduit la fortune, je n’aurais pas osé te l’offrir. Je m’en veux de ne pas avoir pensé que mon grand ordre t’eût été agréable. Je te l’eusse envoyé quand j’étais encore sur le trône. » Ainsi, avec ces hochets qui ne sont plus que des objets de curiosité, ces deux soldats, également partis du peuple et également démagogues à leurs débuts, jouent au bord de leur tombe !