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ironie qui mettait le comble à sa scélératesse : — « Va donc me dénoncer à lui. Ce sera le pendant de la rosserie de Marguerite. Il me maudira. C’est couru. tu m’as toujours détesté. Je l’ai toujours vu. Assouvis ta haine… » À mesure qu’il me parlait, la colère montait en moi, terrible. C’est mon vice, un vice que j’avais cru dompté…

Il avançait son bras droit, et, d’une voix où frémissait une honte :

— J’ai mis ma main dans un brasier, pour me punir d’avoir frappé un ouvrier. Depuis lors, quand la fureur me gagnait, je regardais ce moignon. Il me rappelait mon délire, et je me reprenais. Cette fois-ci, et devant l’arrogance insultante du misérable, la colère fut la plus forte. Je le saisis par le collet, de mon unique main, si rudement que je le jetai par terre en lui disant : « À genoux. Tu vas demander pardon à genoux. » Et cela se passait dans la chambre qu’Amédée occupait chez mon père, et ce père pouvait entrer, et ma mère ! Dans sa chute, il poussa un cri, et il appela : « Maman ! Maman ! » Je m’arrêtai, réveillé en sursaut de ma frénésie. Des pas approchaient, ceux de la servante. « Madame n’est pas à la maison, » dit cette fille en ouvrant la porte. Elle ajouta : « Mais qu’y a-t-il ? » Elle venait de nous voir, Amédée étendu sur le tapis, moi appuyé contre la cheminée, défaillant et redevenu maître de moi. « Laissez-nous, » lui répondis-je, et elle obéit. « Je ne parlerai pas à notre père, dis-je à mon frère quand nous fûmes seuls : ni à notre mère. Je pars demain. Je reviendrai prendre congé d’eux ce soir ! Vous ne serez pas là, vous m’entendez. À partir d’aujourd’hui, vous êtes mort pour moi. Je ne vous connais plus. Mais ne soyez pas là ce soir, vous m’avez compris. » Il avait compris, et il n’était pas là quand je dis adieu à mes parents. À cause de lui, je ne les ai pas revus. J’ai eu trop peur d’une nouvelle crise de colère, si je me retrouvais en face de ce drôle… Et maintenant, penses-tu encore que j’ai été trop dur en ne voulant plus jamais connaître un frère pareil ? Dans la mesure où je le pouvais, j’ai réparé sa turpitude envers mon père. J’ai versé le même jour quinze cents francs à une œuvre de bienfaisance, au nom de Mlle Percy, à qui j’ai envoyé le reçu. Elle ne me l’a pas retourné. J’ai donc le droit de considérer que le remboursement est accepté, et la dette payée. Mais que mon fils repose dans le même caveau que