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chour, ponchour ! » et en braillant des quolibets tudesques. Allons-nous assister à un bolchévisme de l’école primaire ? Et pourquoi ces bonnets rouges, si semblables à ceux de nos soldats, qu’on aperçoit aux devantures de maints chapeliers ?… Il est manifeste que l’Allemand, d’abord atterré au lendemain de l’armistice, commence à relever la tête. Dans certaines maisons illuminées à giorno, on affecte de pianoter avec frénésie des musiques triomphales…

Pourtant, il n’y a pas lieu d’être surpris de tout cela, ni de s’en inquiéter outre mesure. Les grandes villes alsaciennes et lorraines, comme les centres industriels, ont été envahies de longue date par les Allemands. Mais, ce que l’on ne sait pas assez en France, ce qu’il faut dire et crier bien haut, c’est que les campagnes, les masses profondes du pays, sont restées absolument françaises. Même les grandes villes comme Metz renferment toujours un noyau compact de vieilles familles indigènes qui groupent autour d’elles toute une population française très nombreuse et très dense.

Par les petites rues tortueuses, des rues à couvents que pavoisent des étendards de Jeanne d’Arc et du Sacré-Cœur mêlés à nos couleurs nationales, je vais visiter quelques-uns de ces vieux amis, — tâter le pouls de l’opinion messine. Derrière leurs vitres bien closes, je les trouve tout à la joie discrète de la délivrance. Déjà déguisés en hussards ou cuirassiers de France, les petits garçons se préparent à fêter la Saint-Nicolas Le grand saint de notre Lorraine, qui est chez nous le petit Noël des enfants sages. Les parents combinent des décorations pour les fêtes présidentielles de demain. Sur les machines à coudre, gisent des drapeaux à moitié cousus… Tout de suite, ils me disent leur allégresse. Une grand’mère de quatre-vingt-cinq ans, qui a vu partir les petits conscrits de 1870, s’exclame, avec un doux air d’absence :

— Enfin ! Les voilà qui reviennent… les pauv’petits !

Mais c’est tellement beau que, comme dans le pays minier, on n’ose pas encore y croire. Tous me répètent :

— C’est un rêve ! C’est un rêve !…

Et, à travers leurs gestes et leurs propos toujours si mesurés, je finis par démêler et par reconnaître l’éternelle tragédie de notre Lorraine, — celle dont j’ai tant souffert moi-même : être condamné à subir la loi étrangère, ne pas pouvoir, ne pas oser