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Néanmoins une sourde inquiétude persiste chez ces Messins, un souci qu’ils ne peuvent pas me dissimuler : « La présence des Allemands leur pèse. Ah ! qui les en débarrassera ? Après quelques jours de découragement et de platitude, voilà que les vaincus reprennent leur arrogance. On les retrouve partout, installés aux points vitaux et, pour ainsi dire, stratégiques, de l’organisation provinciale ou municipale, — dans les gares, dans les tramways, à la poste, aux téléphones, dans toutes les administrations. La seul vue de leurs uniformes, de leurs coiffures est odieuse aux Lorrains. Tous ces démobilisés qu’on leur renvoie d’Allemagne, sous prétexte qu’ils sont originaires du pays, leur suggèrent des réflexions chagrines. Que de brebis galeuses parmi les échappés des casernes prussiennes et quelle souffrance de voir la cocarde tricolore sur des casquettes ou des vareuses germaniques !… On sait trop que l’Allemand est capable de tout et qu’il s’évertue à saboter tant qu’il peut la victoire et la conquête françaises… »

Un ami me cite de beaux cas de sabotages teutons : par exemple, ce fonctionnaire municipal qui, chargé de découper des drapeaux français et alliés dans un lot important de vieux drapeaux boches, vous les cisailla si aigrement que ceux-ci devinrent inutilisables. Et cet autre fonctionnaire, à qui l’on demanda de procéder à des sonneries d’essai de la Mutte, la grosse cloche de la cathédrale, en vue de la réception présidentielle. L’Allemand répondit, comme tous ses compatriotes, dans tous les hôtels allemands, à n’importe quelle demande on leur puisse faire, — que « ce n’était pas possible » que « la charpente menaçait ruine : »

— Très bien ! dit notre ami : vous l’avez fait sonner pour Guillaume, vous la ferez sonner pour Poincaré ! Et, pour que vous vous rendiez bien compte de l’état de la charpente, vous vous tiendrez sous la cloche pendant la sonnerie !…

Et la cloche sonna le plus naturellement du monde.

Partout, lorsque je prends congé, on me répète jusque sur le seuil :

— Dites bien surtout que nous ne voulons plus des Allemands !…

Les Allemands ?… Est-ce que mes hôtes parlent sérieusement ? Est-ce qu’il y en a ici ?… On a du mal à s’en convaincre, quand on descend la rue Serpenoise illuminée, regorgeant