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d’uniformes français, où, jusqu’à une heure avancée de la nuit, les foules militaires circulent sous les guirlandes, les drapeaux en écusson, les grandes oriflammes tricolores frissonnant dans la clarté des lampes électriques… Tout à coup, devant le hall violemment éclairé de Moitrier, je perçois un joyeux vacarme français. On y fête la Sainte-Barbe, aux accents bien connus de l’Artilleur de Metz. On chante, on crie, on fait du tapage, il y a là de vieux généraux à barbiche grise et de petits sous-lieutenants de la classe 18. Tout le monde a vingt ans…


Encore un coup, on ne saurait trop y insister : si Metz a été quelque peu contaminé, le flot français submerge et recouvre toutes les campagnes. Dans nos villages désannexés, toute la population est française, chacun a des parents de l’autre côté de l’ancienne frontière. Seuls, le chef de gare et le receveur des postes, quelquefois aussi l’instituteur, sont des immigrés. Ceux qui s’attristent de rencontrer encore trop de figures allemandes dans les rues de Metz, que ceux-là aillent faire un tour dans notre Lorraine agricole : ils verront comme ils y seront reçus. La chaleur de l’accueil leur fera oublier tous les mauvais regards affrontés là-bas.

Et d’abord ces braves gens ne se sentent pas d’aise de pouvoir enfin reparler français. Pendant la guerre, on était passible d’une amende, et même de la prison, pour un mot de français qu’on laissait échapper. Une foule de personnes, qui n’avaient jamais voulu articuler une phrase d’allemand, préféraient rester chez elles et vivaient en recluses. Aujourd’hui, dans l’ivresse de délier sa langue, on se livre à une véritable orgie de français. Tout y passe, le patois, comme le dialecte du pays, — un français local, dont j’ai présenté naguère quelques échantillons aux lecteurs de la Revue. Déjà, à Metz, l’autre soir, aux abords de la Gare centrale, j’avais entendu sonner, dès l’arrivée, notre n’en’me donc ? national (« n’est-ce pas donc ? »).

Ailleurs, chez des propriétaires, des cultivateurs, des maires de village, des curés, des instituteurs, je suis accueilli tout de suite, après quelques phrases échangées, par cette aimable proposition :

— À présent, on va choquer en l’honneur de la France !

Et le maître du logis rapporte de la cave une bouteille de