Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/321

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il nous débite cet incident, en faisant de grands gestes exaltés et en caressant sa petite fille qui est assise sur ses genoux. Soudain, il conclut avec un large rire :

— Le plus beau de l’affaire, c’est que voilà le « Guigui » dégommé !

« Le Guigui, » pour nos Lorrains annexés, c’est Guillaume, l’Empereur détrôné.

Notre bonhomme ajoute, d’un air narquois :

— Il paraît que, malgré ça, il a trouvé le moyen de sauver sa caisse !…

Puis, se penchant sur sa fillette qu’il embrasse :

— Ça ne fait rien, va, ma belle ! je t’aime mieux que le Guigui avec tous ses sous !

À propos de sous, il nous confie :

— J’ai été à Metz acheter un drapeau français. Il m’a coûté trente-cinq francs ! Avec la frange et la hampe, ça me fait plus de cinquante francs ! C’est un peu cher la botte !… Mais, que voulez-vous, pour une occasion pareille, je n’allais pas acheter de la frapouille, n’est-ce pas ?… Quand je suis revenu avec mon drapeau, j’ai rencontré l’officier prussien qui avait logé chez moi. Il m’a regardé de travers. Alors, je lui ai dit : « Tu peux regarder mon drapeau, va, mon vieux ! Si la pointe n’était pas si molle, je le la planterais quelque part ! »

Et, sur cette dernière gaillardise, il fallut « choquer » encore une fois à la victoire !

Dans une autre maison, la mère et la fille me disent que, lors de l’entrée de nos troupes, les habitants de la localité se sont disputé nos soldats. C’était à qui aurait le sien. Quant à elles, elles ont l’honneur de loger un lieutenant… Après cela, nous causons de la guerre, des épreuves subies par tout le pays, et, tandis qu’elles gémissent sur les persécutions allemandes, tout à coup, midi tinte au clocher de l’église.

— Ah ! mon Dieu ! s’exclame la jeune fille : midi ! Et le dîner de not’ lieutenant qui n’est pas prêt !…

Éperdue, elle s’engouffre vers la cuisine.

Même chaleur d’accueil chez des fonctionnaires, pourtant tenus à plus de prudence et d’ailleurs traités avec une faveur marquée par le gouvernement allemand. Un curé nous conte que, le dimanche où il a dû annoncer l’armistice à ses paroissiens, l’émotion l’a suffoqué au beau milieu de son sermon. Il