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n’a pu que crier : « Vive la France ! » et il est descendu de la chaire en sanglotant.

Néanmoins la joie ne les aveugle pas. Ils n’ignorent point les traquenards, les dangers qui les guettent encore. L’ennemi est toujours là, embusqué dans la maison voisine. S’ils l’oubliaient, ils n’auraient qu’à sortir de leurs villages : les fils de fer barbelés, les tranchées encore béantes, les abris bétonnés, le sol crevassé par les obus, les toitures éventrées leur rappelleraient la guerre toute proche. Mais ils ne veulent plus y penser. Ils ont confiance. Ils savent que la grande voix du pays lorrain, unanime dans sa foi à la mère patrie, va couvrir les dissonances isolées… Déjà on prépare les toilettes, on mobilise les véhicules pour les fêtes présidentielles du lendemain. De leurs fenêtres ou de leurs seuils, les gens nous crient :

— À demain ! Ça va être superbe !… Vous verrez : toutes les campagnes y seront !


À leur grand regret, elles ne purent pas venir en aussi grand nombre qu’elles l’auraient voulu. La crise actuelle des transports, les difficultés du ravitaillement en furent la cause. Comment augmenter le nombre des voyageurs sur des lignes déjà trop encombrées par les troupes alliées et par les démobilisés d’Allemagne ? Et, dans une ville dont la population militaire vient de s’accroître subitement dans des proportions extrêmes, à quoi bon multiplier encore les bouches à nourrir ?… Néanmoins, beaucoup réussirent à triompher des difficultés et des formalités administratives. En masses imposantes, les campagnes lorraines accoururent au rendez-vous. Toutes les petites villes et les villages de la région étaient là, représentés par leurs notables, leurs maires, leurs conseillers municipaux. De vieilles écharpes françaises avaient été sorties, pour la circonstance, des armoires de famille. Des hauts de forme vénérables, de vieux chapeaux à claque, tout jaunis aux coutures, tout craquelés par les plis, prenaient sur les têtes des airs belliqueux de bicornes à panaches. Jamais je n’ai tant vu de claques que ce matin du 8 décembre, dans les rues de Metz.

Pourtant, malgré cet endimanchement plein de bonne volonté et le papillotement des couleurs patriotiques aux fenêtres et aux frontons des édifices, la tonalité du spectacle