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De l’eau, de l’herbe, des arbres, cela suffit à la lune pour composer une féerie immortelle.

Elle lui répondit doucement :

— Si vous aimez tant la campagne, qui vous empêche d’y vivre ?

Il ne répondit pas, sentant son cœur battre plus fort.

Une éclaircie s’ouvrit entre les arbres. Au loin le Val-Dormant apparut vêtu jusque dans ses profondeurs de brumes blanches, qui s’étalaient comme un lac immobile de lumière, d’où émergeaient les têtes fines des peupliers.

Soudain la jeune fille frissonna :

— Rentrons, dit-elle.

Ils reprirent le chemin de la maison.


Confortablement assis dans un fauteuil, à la fenêtre de la belle chambre du rez-de-chaussée, donnant sur le jardin, M. Bourotte ne se décidait pas à aller dormir. Tous les incidents de la journée tournaient dans sa tête et, tandis que ses regards erraient sur les toits assoupis sous la lune éclatante, il songeait :

— Bourotte, mon ami, c’est le propre du sage de ne pas s’arrêter aux apparences des choses, mais d’en tirer une morale et un enseignement. Fais le compte des jours que tu as passés jusqu’ici. As-tu jamais vécu une journée aussi réconfortante et aussi pleine ? Il ne tient qu’à toi de prolonger ces heureux moments. Hé, hé, Bourotte, saisis le cheveu de l’occasion. Ce n’est pas sans la volonté des dieux que tu es venu ici. Remémore-toi ce concours merveilleux de circonstances : ta course errante dans la forêt, ta chute, la rencontre de la jeune fille, et, reconnaissant derrière ces hasards une volonté intelligente, admire les effets de la cause puissante qui régit l’univers. Bourotte, mon ami, cette douce Marthe ferait une femme excellente. Que de raison ! que de sagesse avisée et souriante ! Sans doute celle-ci n’est pas destinée à épouser un campagnard, quelque fils de fermier vain de ses richesses. Elle est trop fine pour ne pas souffrir parmi ces créatures épaisses. Crois-moi, Bourotte, elle doit rêver un mari qui saura l’aimer et la comprendre.

Ainsi roulant ces pensées, il enchantait son imagination par de brillants mirages. Il se voyait conduisant la jeune fille dans