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le vaste appartement de la place du Marché ; il jouissait de la déconvenue de Mme Badel, dépossédée du gouvernement de sa maison... Soudain il tressaillit : quelqu’un marchait dans le jardin. S’étant rejeté dans l’ombre, il regarda.

Un adolescent d’une vingtaine d’années se tenait dans l’allée, levé sur la pointe des pieds, prêt à prendre la fuite au moindre bruit. La lune donnait en plein sur son visage. M. Bourotte voyait nettement ses yeux brillants, ses cheveux drus en épis. Il y avait dans sa pose tant de sveltesse et tant de légèreté, que M. Bourotte songea à un chevreuil, suspendu à un rocher et guettant la rumeur des cors et les bruits de la chasse lointaine.

S’étant baissé, il prit une poignée de cailloux et la lança dans la fenêtre.

— Marthe, dit-il, dors-tu ?

M. Bourotte, caché dans l’ombre, toussa légèrement.

— Marthe, reprit l’adolescent, j’ai à t’annoncer une bonne nouvelle. Mon père a décidé de venir trouver tes parents demain matin, pour faire la demande en mariage.

Et il partit aussi légèrement qu’il était venu.

M. Bourotte supporta héroïquement sa déconvenue. Ayant allumé la bougie, il se regarda dans la glace qui surmontait la commode ventrue. Une lucidité impitoyable lui montra ses tempes grisonnantes et les rides qui se creusaient, légères mais si marquées au coin de son nez et de ses yeux. Il serra son foulard autour de sa tête et murmura dans un haussement d’épaules :

— Allons, vieux fou, va dormir.

L’aurore aux doigts de rose répandit sa clarté sur la terre, sur les toits miroitants de la rosée nocturne, sur les peupliers frémissants. Dans le village, les coqs chantèrent et le marteau du forgeron sonna joyeusement sur l’enclume.

M. Bourotte, se sentant l’âme légère, s’habilla et descendit dans la cuisine. Il y trouva la jeune fille qui, vêtue d’un tablier de toile bleue, s’empressa de lui servir une tasse de lait et une assiette où brillait un rayon de miel.

Il prit un air mystérieux pour lui dire :

— Ce jour marquera une date dans votre vie. Je suis un peu sorcier et je comprends le langage des oiseaux. Une pie, qui jacassait sur un poirier du jardin, m’a dit, comme j’ouvrais ma fenêtre, qu’on viendrait vous demander en mariage ce matin.