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Elle se mit à trembler si fort qu’il dut lui prendre l’assiette des mains. Mais des pas retentirent dans le couloir. Et le fermier Maîtrepierre parut, accompagné de sa femme. Ils s’effacèrent pour laisser passer un gros homme rougeaud, chaussé de guêtres, vêtu d’une blouse luisante, dont le col et les poignets étaient ornés de dentelle.

Le fermier le présenta :

— Voici mon ami Sorlet, le propriétaire de Sainte-Anne.

— François, dit le nouveau venu cérémonieusement, je te demande la main de ta fille pour mon fils Théophile.

— J’accepte, si elle y consent.

Elle sauta au cou de son père. La mère, du coin de son tablier, s’essuyait les yeux.

— Monsieur, dit la femme, vous trouvez que nous allons bien vite en besogne. Mais les enfants s’aimaient et nous n’étions pas sans avoir causé de la chose. Ils sont jeunes, ils auront du bien. Et, pour vous dire le fin mot, nous ne sommes pas de ces gens avares et tâtillons qui, concluant un mariage, font le compte de chaque motte de terre. Il faudrait, comme on dit chez nous, une balance pour peser Madame et Monsieur. Les noces seront célébrées à la Saint-Martin et nous comptons bien que vous nous ferez le plaisir d’y assister.

M. Bourotte prit la main de la jeune fille et la serra avec ferveur :

— Je viendrai donc à vos noces. Et je sais bien que vous serez heureux, car avec la beauté qui passe, vous avez la sagesse et l’esprit qui vous conserveront aux yeux de votre époux des attraits impérissables. Je cite volontiers les vieux livres, car je vis au milieu d’eux. J’ai lu ceci dans le plus vénérable : « Rien n’est meilleur et plus heureux qu’une famille gouvernée par la concorde de l’homme et de la femme. C’est le désespoir des envieux, et la joie des cœurs bienveillants. Mais eux-mêmes surtout jouissent de leur félicité. »


EMILE MOSELLY