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concentrée entre les mains des commissaires du peuple : c’est la dictature de quelques individus parmi lesquels Lénine paraît être l’un des rares qui soit Russe. Il n’y a plus d’élections régulières. Les Soviets d’ouvriers et soldats et les congrès des Soviets ne sont qu’un décor, qu’une occasion de discours à perle d’haleine. Dans les campagnes, le pouvoir appartient aux paysans les plus ignorants, les plus pauvres, c’est-à-dire les moins laborieux : chaque village est en état de défiance, parfois de guerre vis-à-vis de son voisin : des bandes armées d’anciens soldats et de paysans parcourent le pays, paralysent les transports, empêchent le travail. C’est un régime de terreur, sans l’excuse de la défense nationale, sous le seul prétexte de combattre la « contre-révolution, » au profit d’une oligarchie d’ambitieux très habiles et d’éhontés voleurs qui a trahi tous les intérêts du peuple russe au profit de ses pires ennemis. Les droits de l’individu sont complètement abolis. Toutes ces libertés que l’Occident appelle la Liberté et pour qui il sait vaincre et mourir, ont disparu. Les prisons sont plus pleines que sous l’ancien régime, les exécutions beaucoup plus nombreuses et plus féroces, sans qu’il y ait même un simulacre de jugement ; tout individu déclaré « bourgeois, » ou socialiste révolutionnaire, c’est-à-dire adversaire des Bolcheviks, est fusillé sur-le-champ. Sous un tel régime la Russie gît inerte, comme hébétée par tant de malheurs, dans un abîme de douleur et d’humiliation ; elle ne parvient pas à se ressaisir ; elle inspire à ses Alliés, qui ne sauraient oublier ce que ses armées ont fait pour le succès commun, un sentiment de profonde pitié ; ils souffrent d’ailleurs eux-mêmes dans leurs intérêts d’une situation si tragique et cherchent par quels moyens ils pourraient lui venir en aide sans s’exposer à la contagion bolchevique.

Après de telles secousses, la reconstruction de la Russie sera difficile et longue. Elle se fera sur des assises nouvelles. La Russie de l’avenir sera vraiment une Russie russe et non plus une mosaïque de peuples hétérogènes. Tout autour d’elle des nations indépendantes se sont constituées en Etats qui resteront libres, sauf, plus tard, à user de leur liberté pour conclure un pacte d’alliance ou de fédération avec une Russie, qui, cessant d’être un danger pour leur indépendance, pourra, au contraire, devenir une sauvegarde pour leur sécurité et une associée pour leur prospérité. Le double phénomène de dissociation et de