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il resta, dans les régions échappées à son emprise, des éléments polonais importants par le nombre et la situation sociale. Seul, le fond paysan non polonais resta inentamé, et c’est de cette masse que, depuis cinquante ans, en Ukraine, en Galicie, en Lithuanie, sont sortis des hommes nouveaux qui ont formulé les revendications nationales de leur peuple. Ainsi, sauf du côté où les Polonais sont en contact et en conflit avec les Allemands, la Pologne ethnographique est entourée d’une zone de pays où un élément polonais plus ou moins dense se superpose à une masse qui n’est pas polonaise, mais qui a bénéficié de l’influence de la civilisation polonaise. De là une série de problèmes très épineux que nous ne pouvons analyser ici dans leur complexité.

En Galicie, la situation est très délicate. La Galicie occidentale jusqu’au San est entièrement polonaise ; mais la Galicie orientale est mixte ; les villes ; notamment Lwow (Lemberg), sont surtout habitées par des Polonais et des Juifs, les cam- pagnes surtout peuplées de Ruthènes [1]. Les Ruthènes sont nombreux sur la rive droite du San, mais, plus à l’Est, la densité polonaise s’accroît même dans les campagnes ; elle est de 25 à 50 pour 100 au Nord du Haut-Dniester, dans la région de Tarnopol, c’est-à-dire dans la partie de la Galicie la plus éloignée de Cracovie. Tout partage de cette région, de même que son attribution à l’une ou à l’autre des deux parties, léserait nécessairement une fraction considérable. La solution la plus juste serait peut-être l’organisation d’une province autonome, bilingue, où les droits des deux nationalités, sans compter ceux des nombreux juifs, seraient sauvegardés. Cette province serait partie intégrante de la Pologne, mais avec un statut particulier dont il appartiendrait aux gouvernements alliés d’indiquer les bases après avoir pris connaissance des vœux de la population. Dans ces questions litigieuses qui divisent de bonne foi les peuples des Etats nouveaux issus des anciens Empires russe et austro-hongrois, l’accord nécessaire ne peut être établi que par l’arbitrage impartial d’un organisme supérieur, celui de la Société des Alliés, en attendant la Société des Nations. Les Puissances occidentales doivent être très attentives au sort de la région entre Lemberg et la frontière ancienne de la Roumanie. C’est un des points sensibles de la nouvelle Europe : il n’est

  1. Ruthènes est le nom qu’on donne à Rome et à Vienne aux Ukrainiens ou aux Petits-Russiens.