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cet enfant sous votre protection. Occupez-vous de lui, monsieur. Prenez-le. Il n’a plus de père. Il n’a plus de grand-père. Sa grand’mère est mourante. Moi, sa mère, je ne peux pas le mêler à ma vie. Je vous ai dit que je serais absolument franche avec vous. Depuis la mort d’Amédée, je l’ai refaite, ma vie. J’ai un ami, qui m’est profondément attaché et que je ne peux pas plus quitter, que je ne peux quitter le music-hall. Mon métier, c’est mon gagne-pain. Mon ami, c’est mon intérieur. Vous me direz : « Pourquoi, aimant votre fils, n’êtes-vous pas allée vivre avec votre mère ? » Pourquoi ? Parce qu’à la mort d’Amédée, j’aimais déjà l’autre. Si vous saviez ce qu’elle a été cette mort d’Amédée, et les mois d’avant ! Il a fini alcoolique, avec d’affreux passages d’excitation et des visions, prenant une fenêtre pour une porte, un tabouret pour un chien, un fauteuil pour une personne. C’étaient des stupeurs alternant avec des crises nerveuses, et, dans les dernières heures, des convulsions... Ce fut horrible, horrible !... Ah ! monsieur, il ne faut pas que Jules tourne comme son père ! Il peut devenir quelqu’un de si distingué, de si bien, avoir une si belle vie, si utile, pourvu qu’il ne se gâte pas ! Et à Paris, seul, quand il saura mon métier surtout, — car il ne le sait pas, — et l’histoire de son père et le reste, qu’il rencontre une mauvaise femme, et il est perdu. Et puis, vers quelle carrière le diriger ? Vers quelle école ? Moi, monsieur, je ne sais pas, je ne peux pas. Mais vous !... Vous causeriez avec lui, seulement un quart d’heure, vous sauriez que je ne vous mens pas, et c’est vous qui me demanderiez de vous le donner. Ce serait une telle pitié que cet enfant si droit, si vrai, si charmant, gâchât son existence, et à Paris, je vous répète, il la gâchera. Monsieur, consentez à le voir. Il a été élevé dans un tel respect de son oncle ! Il viendra à vous, en toute confiance. Laissez-moi vous l’amener.

— Vous avez fini ? dit Blaise Marnat, comme la suppliante se taisait. Il répéta : « Vous avez fini ? » Au son étouffé de sa voix où passait un râle, à l’éclat de ses yeux qui dardaient un jet de flamme, à la contraction terrible des muscles de ses joues et de son front, à son poing crispé qui allait frapper, je compris pourquoi il m’avait adjuré de l’assister au cours de cette conversation. La frénésie de la colère l’envahissait. Il lutta quelques secondes, puis, se levant dans un sursaut, il montra