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Sous le nom de Grands-Russes, de Petits-Russes ou Ukrainiens, et de Blancs-Russes, il n’y a qu’un peuple russe qui a le sentiment profond de son unité jusque dans les masses ignorantes et qui tend, d’un effort historique continu, à la réaliser. L’unité s’incarnait naguère dans la personne du tsar « rassembleur de la terre russe ; » elle va devenir, sous l’aiguillon des nécessités économiques, un besoin plus conscient qui s’imposera à tous les gouvernements de la Russie.

Les conflits politiques s’apaisent à la longue, les courants sociaux se canalisent, des formes nouvelles sortent des anciens moules brisés ; mais l’action des grandes forces naturelles et historiques ne cesse pas d’entraîner les peuples dans le sens de leur développement national. Il convient donc de ne pas s’arrêter outre mesure au spectacle de division et de morcellement à l’infini que la masse russe présente actuellement. Quand l’autorité centrale s’est effondrée, la Russie, comme au temps des faux Dimitri, a vu surgir des gouvernements locaux, les uns nés du besoin d’ordre, les autres issus du désordre triomphant ; ils ont été plus ou moins éphémères ; d’autres encore naîtront et mourront avant que la stabilité soit rétablie ; mais dans aucune région peuplée de Russes, pas même en Ukraine, il n’existe une volonté de sécession définitive et complète. On se sépare parce qu’on ne sait plus où est la Russie, quitte à se rejoindre dès qu’on croira l’entrevoir. Avant tout, on cherche à se préserver du fléau bolchevique qui, de son côté, veut tout envahir pour tout détruire.

C’est le spectacle que nous présente l’Ukraine depuis l’abdication du Tsar (3-16 mars 1917). Depuis longtemps un parti peu nombreux, composé surtout d’intellectuels, encouragé et subventionné par Vienne, travaillait à éveiller un particularisme petit-russien et à ressusciter le vieux nom d’Ukraine, afin de diviser la Russie contre elle-même. Le principal centre de cette propagande était dans la Galicie orientale où une partie importante de la population est petite-russienne. La Wilhelmstrasse et l’Etat-major de Berlin se sont beaucoup occupés du mouvement ukrainien et n’ont pas ménagé les subsides pour le développer. Il est juste d’ajouter que Pétrograd favorisait en Galicie un mouvement tendant à l’union avec la Russie et à la dislocation de la monarchie austro-hongroise. La propagande du petit groupe ukrainien, que dirigeaient l’historien