Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hrouchevski et le romancier Vinnitchenko, s’appuyait sur les souvenirs de l’ancienne Ukraine, jadis indépendante sous ses hetmans, et qui, en demandant la protection de la Moscovie pour échapper à la double menace polonaise et turque, n’a pas abdiqué ses libertés aux mains des Tsars[1]. Le sentiment particulariste de l’Ukraine n’est pas une simple invention de la propagande austro-allemande : les Ukrainiens estiment qu’ils sont l’élément le plus purement slave et le plus civilisé de tous les Russes, et ils ont une nuance de. mépris pour le « Moskal » demi-asiatique ; ils sont attachés aux particularités qui distinguent leur dialecte et leurs coutumes. Mais ces souvenirs d’indépendance, ces tendances régionalistes, n’auraient jamais réussi à faire naître un mouvement sécessionniste, ni même fédéraliste, si la tyrannie bureaucratique et centralisatrice des fonctionnaires de Pétrograd n’avait à la longue exaspéré les populations. Déjà, en 1863, un ministre de l’Intérieur, du fond de son cabinet, fulminait dans une circulaire : « Il n’y a jamais eu de langue ukrainienne ; il n’y en a pas, il n’y en aura jamais. » Le dialecte ukrainien, proscrit, devint plus cher à ceux qui le parlaient et qui s’appliquèrent a l’élever au rang de langue littéraire. Dans l’invasion des armées du Tsar en Galicie, en 1914, la bureaucratie trouva une nouvelle occasion de brimer cruellement et stupidement les populations ukrainiennes. C’est à cette époque et surtout après la retraite des troupes russes, qui dévastaient tout le pays, que la propagande allemande se donna carrière et travailla ouvertement à séparer l’Ukraine de la Russie pour en faire une dépendance économique de l’Allemagne où celle-ci trouverait une source de ravitaillement en céréales et de recrutement en hommes. Le terrain était donc bien préparé quand éclata la révolution. Elle eut pour résultat de changer radicalement le caractère du mouvement ukrainien : « Le mouvement de professeurs devint un mouvement de paysans ; de national il devint social[2]. » En Ukraine, pays de la Terre-Noire, des riches moissons, beaucoup de paysans sont propriétaires et très attachés à leur sol ; ils demandent que les grands domaines soient rachetés ou même répartis gratuitement

  1. C’est en 1654 que l’hetman Bohdan Chmielnicki demanda, par le traité de Pereiaslaw, la protection d’Alexis Mikhailovitch.
  2. Voyez l’excellente brochure de M. Louis Réau : La République indépendante de l’Ukraine (Collection de l’Association « France-Russie, » 1918).