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La même année qui vit le triomphe de Rameau fut marquée par l’avènement de Mme de Pompadour. La favorite, au dire de Collé, ne goûta jamais beaucoup la musique du maître bourguignon. Mais elle en aima d’autre, et cet amour ne fut pas son plus mauvais moyen de plaire et de régner. Dès sa prime jeunesse, un des nombreux talents de la petite Poisson, l’un des charmes de « Reinette, » comme l’appelaient ses familiers, fut le chant. Elle y avait été formée par le célèbre Jélyotte [1]. Déjà le monde, un certain monde du moins, l’invitait à se faire entendre. Un jour, à l’hôtel d’Angervilliers, la jeune fille chanta le grand air de l’Armide de Lulli « et charma tellement Mme de Mailly, que celle-ci la voulut embrasser [2].)> Mariée et châtelaine, « la divine d’Etiolés, » comme l’appelait Voltaire, ne manqua pas d’accorder une place, et non la moindre, à sa chère musique, dans les plaisirs qui retenaient autour d’elle une véritable cour. Au lendemain d’un souper qu’il avait fait à Paris avec elle en 1742, le président Hénault écrit à Mme du Deffand : « Elle sait la musique parfaitement, elle chante avec toute la gaieté et tout le goût possibles, sait cent chansons, joue la comédie à Etioles sur un théâtre aussi beau que celui de l’Opéra, où il y a des machines et des changements [3]. »

Trois ans plus tard, Mme d’Etioles est devenue la marquise de Pompadour. Elle n’en restera pas moins fidèle à son art favori. Avec elle et par elle, la musique règne à la cour. C’est l’année du premier mariage du Dauphin, l’année de Fontenoy. La Princesse de Navarre, nous l’avons dit, est représentée dans la salle du manège. Dans la grande salle du château, l’on donne un opéra : Zaïdé ; un autre : Jupiter vainqueur des Titans, sur le théâtre de la Grande Ecurie. En 1746, les fêtes musicales se succèdent encore : concerts chez la Reine, opéras et ballets, dont la Zéliska, de Jélyotte, fait fureur. A sa vie même la plus intime, à ses .tête-à-tête avec le Roi, s’il s’ennuie ou se lasse, Mme de Pompadour, pour le distraire ou le retenir, sait mêler la douceur apaisante des sons. Cachée et comme perdue avec lui dans le dédale impénétrable des Petits Appartements, des

  1. Sur Mme de Pompadour et la musique, voir l’ouvrage de M. Pierre de Nolhac : Louis XV et Mme de Pompadour. Nous y avons largement puisé.
  2. M. de Nolhac.
  3. Cité par M. de Nolhac.