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sculpturale, achevée depuis peu pour l’arrivée de la Dauphine [1], l’avait déjà rendue célèbre en Europe. Les boiseries étaient peintes en marbre vert antique, avec tous les reliefs d’or mat, et tendues de velours bleu. Un architecte moderne a modifié à tort, en changeant les tons, le caractère de cette salle, où l’Assemblée nationale devait plus tard trouver un refuge [2]. « En y entrant, l’on pourrait s’écrier : « Quel état, et quel état ! » D’un ensemble parfait autrefois, pas un élément, proportions, lignes, couleurs, qui n’ait souffert quelque injure. L’exhaussement du plancher a presque supprimé le pourtour du rez-de-chaussée. Partout des cloisons ont aveuglé les baies qui s’ouvraient de place en place. Enfin, un hideux badigeon rouge brun a remplacé le vert antique et le bleu rehaussé d’or. Heureusement l’ornementation générale n’a pas péri tout entière. Les sphinx et les aigles, en petit nombre, se mêlent aux emblèmes royaux. Les pilastres et les colonnes de l’avant-scène ont gardé leur opulence corinthienne, et celles de la première galerie mirent encore dans les panneaux de glace du fond la grâce de leur silhouette ionique. Sauf la couleur toujours, l’abominable couleur, le foyer reste quelque chose d’exquis. Dans la décoration, les attributs de la musique s’unissent à ceux de l’amour. Deux statues de femme s’appuient contre les parois : l’une joue de la lyre et l’autre, comme l’antique Euterpe, du chalumeau. Enfin, au-dessus de la porte et sur la muraille opposée, deux admirables figures de Pajou se regardent : Apollon et Vénus, que les Amours environnent.

C’est à l’occasion du mariage du Dauphin avec Marie-Antoinette que se fit, le 18 mai 1770, l’inauguration du nouveau théâtre. On représenta le Persée, de Quinault et Lulli, revu et corrigé pour la circonstance. Un acte sur cinq fut supprimé. On donna plus de place aux divertissements et aux ballets, aux machines et aux « gloires ; » on en laissa moins aux récitatifs, remplacés par des « doubles croches à l’italienne. » On adjoignit même aux figurants un certain nombre de soldats des Gardes françaises. Et pourtant, rapporte Bachaumont en ses Mémoires, « malgré toutes les précautions qu’on a prises pour renforcer la musique, il a paru singulier que, pour début, on assomme Madame la Dauphine, dont l’oreille n’a entendu jusqu’ici

  1. Marie-Antoinette.
  2. M. de Nolhac, la Reine Marie-Antoinette.